Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peur de compromettre encore davantage Mme de Longueville en se portant ouvertement son défenseur ; mais, quelques mois s’étant écoulés, il crut pouvoir se montrer, et, comme le dit Maupassant dans l’ouvrage inédit sur la régence que nous avons plusieurs fois cité[1], « la prison du duc de Beaufort lui ostant les moyens de tirer avec lui l’espée, il s’adressa au duc de Guise. » La Rochefoucauld s’exprime ainsi[2] : « Le duc d’Enghien, ne pouvant témoigner au duc de Beaufort, qui étoit en prison, le ressentiment qu’il avoit de ce qui s’étoit passé entre Mme de Longueville et Mme de Montbazon, laissa à Coligny la liberté de se battre avec le duc de Guise, qui avoit été mêlé dans cette affaire. » Le duc d’Enghien connut donc et approuva ce que fit Coligny. Pour Mme de Longueville, il est absurde de supposer qu’elle voulut être vengée et poussa Coligny, car tout le monde lui attribue une conduite fort modérée en opposition avec celle de Mme la Princesse. Loin d’envenimer la querelle, elle était d’avis de l’étouffer, et Mme de Motteville réfute elle-même le bruit qu’elle rapporte en disant : « La jalousie qu’elle avoit contre la duchesse de Montbazon, étant proportionnée à son amour pour son mari, ne l’emportoit pas si loin qu’elle ne trouvât plus à propos de dissimuler cet outrage. »

Maupassant est le seul qui ait élevé le moindre doute sur le courage de Coligny. Nous répétons que cette imputation isolée est dénuée de toute vraisemblance. En vérité, on peut bien supposer la bravoure dans tout gentilhomme, quand on sait dans quelles traditions d’honneur, dans quelles habitudes martiales la noblesse était élevée. Tous les Coligny naissaient militaires. Qu’eût fait un homme d’un courage équivoque parmi ces jeunes guerriers qui entouraient Condé, et dont il exigeait non pas une vaillance ordinaire, mais une audace à toute épreuve ? Imagine-t-on un homme d’une bravoure douteuse adressant ses hommages à Mme de Longueville ? La Rochefoucauld nous apprend la vérité et explique très bien ce qui va suivre. Coligny relevait d’une longue maladie ; il était faible encore, et il n’était pas fort adroit à l’escrime. C’est dans cet état qu’il s’attaqua au duc de Guise, preuve, ce semble, bien suffisante de courage, car celui-ci se portait à merveille, et, comme tous les héros de parade, il était d’une rare habileté dans ce genre d’exercices.

Disons quelques mots des seconds qu’ils se choisirent ; ils en valent la peine à tous égards. Les seconds étaient alors des témoins qui se battaient. Coligny prit pour second, et pour faire l’appel, comme on disait alors, Godefroi, comte d’Estrades, d’une bravoure froide et éprouvée. D’Estrades avait commencé à servir en Hollande sous Maurice de

  1. Bibliothèque royale, Supplément français, n° 925, fol. 11.
  2. Mémoires, p. 391.