Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait le plus grand air, et malgré cela son trait particulier était la grâce. Ajoutez la suprême différence des manières et du ton. Mlle de Longueville était dans tout son maintien la dignité, la politesse, la modestie, la douceur même, avec une langueur et une nonchalance qui n’étaient pas son moindre charme. Sa parole était rare ainsi que son geste; les inflexions de sa voix étaient une musique parfaite[1]. L’excès, où jamais elle ne tomba, eût été plutôt une sorte de mignardise. Tout en elle était esprit, sentiment, agrément. Mme de Montbazon au contraire avait la parole libre, le ton leste et dégagé, de la morgue et de la hauteur.

Ce n’en était pas moins une créature très attrayante, quand elle voulait l’être, et elle eut un grand nombre d’adorateurs, et d’adorateurs heureux, depuis Gaston, duc d’Orléans, et le comte de Soissons, tué à la Marfée, jusqu’à Rancé, le futur fondateur de la Trappe. M. de Longueville avait été quelque temps l’amant en titre, et il lui faisait des. avantages considérables. Quand il épousa Mlle de Bourbon, Mme la Princesse exigea, sans être il est vrai bien fidèlement obéie, qu’il rompît tout commerce avec son ancienne maîtresse. De là dans cette ame intéressée une irritation que redoubla la vanité blessée, lorsqu’elle vit cette jeune femme avec son grand nom, un esprit merveilleux, un charme indéfinissable, s’avancer dans le monde de la galanterie, entraîner sans le moindre effort tous les cœurs après elle, et lui enlever ou partager du moins cet empire de la beauté dont elle était si fière, et qui lui était si précieux. D’un autre côté, le duc de Beaufort n’avait pu se défendre pour Mme de Longueville d’une admiration passionnée qui avait été très froidement reçue. Il en avait eu du dépit, et cette blessure saigna long-temps, c’est son ami La Châtre qui nous l’apprend[2], même après qu’il eut porté ses hommages à Mme de Montbazon. Celle-ci, comme on le pense bien, aigrit encore ses ressentimens. Enfin le duc de Guise, récemment arrivé à Paris, s’était mis à la fois dans le parti des importans et au service de Mme de Montbazon, qui l’accueillit fort bien, en même temps qu’elle s’efforçait de garder ou de rappeler M. de Longueville, et qu’elle régnait sur Beaufort, dont le rôle auprès d’elle était un peu celui de cavalier servant. On le voit, Mme de Montbazon disposait ainsi, par Beaufort et par Guise, comme aussi par sa belle-fille, Mme de Chevreuse, de la maison de Vendôme et de la maison de Lorraine, et elle employa tout ce crédit au profit de sa haine contre Mme de Longueville. Elle brûlait de lui nuire; elle en trouva l’occasion.

Un jour qu’elle avait chez elle une nombreuse compagnie, on

  1. Villefore, p. 32.
  2. Mémoires de La Châtre dans la collection Petitot, t. LI, p. 230.