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n’avait parlé qu’à ses yeux; plus tard, quand il revit l’Italie, son esprit n’avait pas mûri. Il avait encore toute sa curiosité; il n’avait pas pris le goût de la méditation : dans la pratique de son art, il n’assignait à la conception qu’un rang secondaire. Et ce n’est pas là une pure conjecture. Ses amis et ses élèves l’on t entendu plus d’une fois dire que dans une statue la tête est la partie la moins importante, la dernière dont il faille se préoccuper, — ce qui signifie que la forme est tout et que l’expression du caractère et des passions ne vaut pas la peine qu’on y songe. Aussi, toutes les fois que Pradier a voulu faire un buste, il a subi les conséquences de cette déplorable maxime. Habitué à n’étudier que la forme, n’ayant jamais pris la peine d’apprendre selon quelles lois se modifie le masque humain, toute son habileté est venue échouer devant un problème dont il ne connaissait pas les termes. Quelques amis complaisans ont loué son buste de Louis XVIII, qui ne manque pas en effet de mérite, mais qui rappelle trop clairement le buste de Vitellius. Si l’œil suffit pour étudier la forme du corps, l’œil ne suffit pas pour donner au visage l’expression qui lui convient; il faut absolument que la réflexion intervienne, et c’est pour avoir dédaigné la réflexion que Pradier n’a jamais su faire un portrait. Lorsqu’il s’agissait d’inventer une tête, il échouait plus sûrement encore; mais il entendait sans chagrin blâmer comme insignifiante, comme nulle, la tête qu’il venait d’achever, car il croyait sincèrement n’avoir négligé aucune des conditions fondamentales de son art.

Tous ceux qui ont connu Pradier savent qu’il exprimait sa pensée avec une franchise qui avait parfois l’apparence de la présomption. On pouvait ne pas lui donner raison, mais on savait du moins très nettement son opinion sur lui-même et sur les préceptes de son art. Quand il était content de son œuvre, il le disait volontiers; quand il ne partageait pas le sentiment soutenu devant lui, il le combattait avec la vivacité d’un homme de vingt ans, et ne ménageait pas les termes. Aussi, au bout de quelques semaines, chacun connaissait les idées trop souvent recueillies au hasard qu’il prenait pour des théories parfaitement déduites, et l’âpreté juvénile de son langage les gravait dans la mémoire. Ses amis évitaient de le contredire, sachant très bien qu’il ne tiendrait aucun compte des objections, et il prenait leur silence pour un signe d’approbation.

La signification des faits que je viens de rassembler n’est pas difficile à déterminer. Pradier, doué de facultés heureuses, n’a jamais compris le côté le plus élevé de son art. Passionné pour le travail, il taillait le marbre avec une sorte de fièvre, et voulait achever en quelques semaines ce qui eût demandé plusieurs mois; il ne voulait pas tenir compte du temps, et improvisait des statues : l’expression n’a rien d’exagéré pour ceux qui l’ont vu modeler. Pourvu que l’œil fût