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sorte, et, parmi ces événemens, ceux qui concernent la religion s’annoncent comme devant être les plus nombreux, les plus caractéristiques et les plus saisissans.


IV. — MŒURS DE LA SOCIÉTÉ AMÉRICAINE.

Quelques pages ne sauraient suffire à résumer les faits étranges que les voyageurs ont recueillis sur les mœurs des États-Unis et les réflexions que ces faits suggèrent naturellement. Mistress Trollope, miss Martineau, Charles Dickens, ont fait jadis des livres, et d’assez gros livres, où le côté seul des mœurs était examiné; les nouveaux voyageurs, malgré leur bonne volonté d’être, qui strictement géologue, qui agriculteur, ne peuvent s’empêcher de remplir la moitié de leurs volumes d’anecdotes excentriques, de bons mots, de traits de caractère. S’il est difficile de résumer tant de faits, il est plus difficile encore de les grouper et d’imprimer l’unité à ce résumé, tant sont contradictoires, disparates, changeans, tous ces épisodes et tous ces traits des mœurs américaines. Tel fait paraît extrêmement curieux, mais il n’a aucun rapport de parenté avec aucun autre, il ne semble avoir aucune relation avec les mœurs générales du pays; les mœurs de tel état ne sont pas celles de tel autre, les habitudes varient avec une rapidité singulière. Il n’y a pas encore de manière de vivre formée aux États-Unis, mais des essais, des combinaisons, des tentatives. La vie morale, jusqu’à présent, y marche avec lenteur, et cette lenteur n’est que le résultat de la précipitation et du progrès rapide de la vie matérielle.

Il est curieux d’observer en Amérique comment les mœurs se forment en vertu du principe politique et moral qui régit les populations et qui fait le fondement des états. Ici l’individu triomphe, et la liberté est le principe politique dominant; les mœurs et les habitudes se règlent d’après ce principe, et n’ont d’autre cause que la nécessité de résister à la tyrannie individuelle, ou de donner une juste satisfaction aux exigences, un champ libre aux entreprises de chacun. Cet esprit de liberté, de personnalité envahissante et farouche, ne pourrait qu’engendrer la guerre et l’anarchie, s’il s’obstinait résolument dans ses prétentions; mais la nécessité le force d’abdiquer et de céder une partie de ses prétentions. De la liberté individuelle naît l’esprit d’association, qui engendre à son tour le despotisme de l’opinion publique. L’individu a contre lui des multitudes entières; enveloppé et serré de tous côtés par ce despotisme invisible, il est forcé de se soumettre ou de succomber. Les victimes de l’opinion publique sont innombrables aux États-Unis, et, comme cette tyrannie n’en est encore qu’à ses débuts, dans quelques années elle aura donné au monde un martyrologe d’un nouveau genre; dans le pays même de la liberté la plus Illimitée, nous