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particulier des États-Unis, qui ont encore aujourd’hui une physionomie de colonies en quelque sorte. La mère-patrie pour les Américains est toujours l’Angleterre, et les descendans des pilgrim fathers sont comme leurs ancêtres des émigrés sur une terre étrangère.

Cette union de plus en plus étroite est la tendance la plus récente et la plus curieuse des tendances américaines actuelles, et c’est pourquoi nous avons voulu l’indiquer avant qu’elle ne soit devenue décidément un fait accompli. Il est facile de voir quelles en seront les conséquences dans cette crise immense qui enveloppe le monde entier, et dont le vague sentiment fait que toutes les nations, à l’heure qu’il est, se rangent en bataille, s’attirent mutuellement, se rapprochent ou se séparent selon leurs affinités naturelles, leurs affinités de race, de croyances, d’instincts, au lieu de se rapprocher et de se séparer comme autrefois selon les chances de perte ou de gain, selon les calculs des joueurs d’échecs diplomatiques et selon les caprices des gouvernemens.


II. — L’EMIGRATION.

L’émigration aux États-Unis vient en appui à notre thèse; elle atteint aujourd’hui son point culminant, et il ne semble guère possible que le chiffre des émigrations dépasse dans l’avenir le chiffre des dernières années. Que n’a-t-il pas été dit touchant le mélange des races aux États-Unis, mélange produit par l’émigration? Rien n’est plus faux. Ce mélange est, en vérité, peu de chose, comme on va le voir, et si le sang anglo-saxon se renouvelle, ce n’est point par l’infusion d’un sang étranger, mais d’un sang puisé à ses propres veines. Les émigrans ne viennent pas, comme on pourrait le croire, de toutes les nations du monde indifféremment; la plupart sont Anglais, les autres sont des Germains ou des Scandinaves. Nous avons la statistique exacte de l’émigration durant les années 1848 et 1849 : depuis, les chiffres ont pu s’élever encore peut-être, mais à coup sûr les élémens de l’émigration n’ont pas changé. 189,176 Européens ont émigré aux États-Unis en 1848, 220,607 en 1849. Décomposons ces deux résultats, afin de connaître le chiffre qui revient à chaque nation. L’Angleterre a fourni 23,062 émigrans en 1848, l’Irlande 98,061, l’Ecosse 6,415, l’Allemagne 51,973; la Hollande, la Norvège et la Suède, trois pays de chétive dimension et d’une faible population, en ont fourni 2,932, et la France, ce pays qui regorge d’habitans, ce pays où les citoyens s’entretuent parce qu’ils ne peuvent plus y vivre, prétendent-ils, fournit un chiffre inférieur à ces derniers petits pays, soit 2,734 émigrans. En 1849, le chiffre s’était encore élevé : l’Angleterre a fourni 28,321 émigrans, l’Irlande 112,591, l’Ecosse 8,840, l’Allemagne 55,705; le chiffre de la Hollande, de la Norvège et de la Suède a monté des deux tiers, 6,754; le chiffre de la France est resté stationnaire, ou, pour mieux dire, a