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Maintenant il s’agite pour entrer à son tour dans les affaires du monde, et s’inquiète de la politique des autres nations, comme si elle lui portait ombrage ou atteinte. Ce n’est point seulement l’ardeur républicaine qui pousse en avant les Américains, c’est une ardeur bien plus fatale, l’ardeur du sang et du tempérament propre aux peuples jeunes, à laquelle vient se joindre la convoitise égoïste et raffinée des nations vieillies. À cette ardeur ainsi compliquée de sauvagerie et de civilisation, le pressentiment obscur et fatidique d’une grande mission providentielle vient ajouter tout ce qu’il peut développer d’ambition nationale et d’instincts religieux. Il faut maintenant aux Américains le retentissement au dehors, l’ivresse du succès, le respect des nations, et, à défaut de ce respect, leur crainte. Pour arriver à ce but, tous les moyens leur seront bons; ils ont d’abord le prestige de leurs institutions, l’exemple de réussite démocratique qu’ils ont donné au monde. Si ce prestige moral, comme cela est visible aujourd’hui, vient à s’éclipser, il reste la puissance matérielle : trente millions d’hommes ont toujours du poids dans les affaires de l’univers. La puissance de l’argent qu’ils accumuleront et gagneront à tout prix remplacera pour eux tout ce qui leur manque du côté du respect moral, de la considération qu’une existence séculaire, une vieille civilisation et les bienfaits répandus sur le monde par un travail traditionnel ont acquise aux états du continent européen. Dans le langage de leurs représentans et de leurs publicistes perce un double sentiment : la joie d’être à l’abri de tout danger, et en même temps le désir de rencontrer des adversaires. Ils sont taquins, sans être ouvertement et décidément hostiles; ils cherchent partout des ennemis, et leur grand désespoir est de s’avouer qu’ils n’en ont pas. En un mot, ils veulent faire quelque chose, ils ne savent pas bien précisément quoi; mais le hasard et l’occasion sont des dieux complaisans qui ne manquent jamais de favoriser les gens de bonne volonté et les caractères décidés à tout oser. Il est temps enfin de dissiper une fausse opinion qui s’est implantée parmi nous dès le XVIIIe siècle, de renoncer à juger les États-Unis d’après leur constitution, et de les juger au contraire d’après le tempérament et le caractère de leurs habitans. Il est temps pour l’Europe de cesser de se faire une Amérique de convention. Il n’a pas manqué, il ne manque pas encore parmi nous d’abstracteurs de quintessence tout prêts à démontrer que la cause de la prospérité croissante de l’Amérique consiste dans cet arrangement légal, dans cette combinaison politique qui s’appelle constitution des États-Unis. De là hymnes et dithyrambes en l’honneur de la philosophie du Contrat social et de la raison humaine. L’expérience et les faits démontrent aujourd’hui que la cause première de la grandeur des Américains est leur origine protestante, et que leur tempérament et leur /tumeur sont des auxiliaires plus puissans pour leur progrès que leur constitution. Qu’est-ce que