Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/325

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cette belle Hilda, la compagne de son enfance, l’ornement de sa tribu, la seule femme qui lui eût fait sentir l’amour, une femme qui avait été pour lui l’objet d’une adoration presque superstitieuse. C’était lui qui l’avait frappée et l’avait couchée ainsi dans son sang. Il fut pris d’un mouvement subit de rage contre lui-même.

— Hilda, dit-il, je me tuerai.

— Ne meurs pas, Gundiok, dit Hilda, et ne perds pas ton ame.

— Mais si je meurs, j’irai avec toi, dit Gundiok.

— Non, dit Hilda, car tu ne crois pas au Christ. Moi, je suis heureuse, je vais auprès de lui ; mais toi, je te plains, car je te laisse sous l’empire du démon.

— Tu me plains ! dit Gundiok.

— C’est que je suis chrétienne, reprit Hilda.

Gundiok la regardait avec une admiration stupide. Une idée soudaine le frappa : — Et moi, si j’étais chrétien !

Hilda sembla se ranimer. L’espoir de convertir le chef de sa tribu, et par lui sa tribu tout entière, fit briller ses yeux mourans d’un éclat extraordinaire.

— Si tu étais chrétien, dit-elle, nous nous retrouverions, Gundiok, dans la gloire céleste.

Et, rassemblant un reste de forces, elle se mit à le supplier d’écouter cette voix qui parlait à son cœur, et, au nom de son sang qu’il avait versé, elle l’adjura, lui, le meurtrier de celui qu’elle aimait, d’embrasser la foi chrétienne pour être sauvé. Certes jamais la religion de Jésus-Christ ne l’emporta sur une ame un plus grand triomphe. Hilda pouvait parler ainsi à Gundiok, parce qu’elle savait qu’elle allait rejoindre Lucius.

Gundiok, éperdu d’étonnement en présence de ce miracle de la charité, entraîné par le désir de retrouver Hilda au-delà du tombeau, hésitait, en proie à une lutte violente. Cette lutte ne pouvait durer long-temps dans une intelligence grossière, mais énergique, qui ne concevait qu’une idée de la foi, mais qui alors la saisissait fortement, Tourmenté par une agitation puissante, il répétait : — Chrétien, moi, chrétien !

— Hâte-toi, dit Hilda d’une voix faible et avec une ineffable joie ; hâte-toi, car je vais mourir.

À cette voix, à ce sourire, Gundiok tomba devant elle à genoux en s’écriant : Je suis chrétien !


J.-J. Ampère.