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aveugle, dépositaire des antiques traditions communes aux peuples germaniques, et que celui-ci conservait, bien qu’altérées. — Ma fille, lui dit-il, le vieil aveugle est le dernier scalde de sa tribu ; il ne sait qu’un petit nombre de chants anciens ; il ne connaît que confusément l’origine antique de son peuple. Après lui, les Franks de Marcomir pourront dire à peine ce que croyaient leurs pères ; mais le vieux scalde sait cependant encore quelque chose de la croyance des aïeux : il sait que les armées venues de loin, en marchant avec le soleil, adoraient le soleil qui les avait conduites, comme un guerrier ennemi des mauvaises puissances ; qu’elles adoraient un autre dieu terrible dont le marteau est la foudre. Pour nous, nous avons oublié le nom de ces grandes divinités, mais nous connaissons ceux des esprits qui habitent les arbres et les rochers, nous leur portons des victimes, nous promenons en leur honneur des flambeaux et nous allumons dans la nuit sacrée les brandons sur la montagne ; enfin nous révérons avec terreur quelque chose d’invisible et de muet dans la profondeur de ces bois. Pourquoi donc viendrait-on nous apporter de nouveaux dieux ? pourquoi la fille de Marcomir viendrait-elle dans la forêt natale faire entendre des paroles nouvelles à l’oreille de son peuple ?

— Parce que la fille de Marcomir est dévorée de l’amour de son peuple, parce qu’elle ne peut, quand la lumière a lui pour elle, le laisser dans les ténèbres. Oui, vieillard, tu l’as dit, les anciens chants s’oublient, les vieux souvenirs périssent ; par là. Dieu-prépare la voie à des enseignemens nouveaux ; par là, il amène le moment où, ne croyant plus aux mensonges périssables, il vous faudra bien croire à l’éternelle vérité ! Ce moment approche, ajouta-t-elle avec un accent prophétique ; les yeux de beaucoup de ceux qui vivent le verront. Alors vous ne croirez plus, comme nos pères, que le soleil et la foudre soient des divinités : vous croirez à celui dont la main allume chaque jour le soleil et dont la foudre est le marchepied. Alors vous irez encore sous les vieux arbres, au pied des rochers, au bord des fontaines ; mais ce ne sera plus pour invoquer les démons qui les habitent, ce sera pour honorer les esprits bienheureux qui les protègent. Alors vous adorerez encore avec trouble quelque chose d’invisible et de muet dans la profondeur des bois ; seulement vous saurez que c’est la majestueuse présence de Dieu.

Le langage inspiré d’Hilda, le soin qu’elle prenait, comme le firent tous les premiers missionnaires du christianisme, de rattacher autant qu’il était possible la foi nouvelle aux croyances populaires des nations germaniques, produisirent une certaine impression sur ceux qui l’entouraient. Ils recueillaient avec curiosité ces paroles qu’ils ne comprenaient pas entièrement. La beauté d’Hilda aidait à l’effet de son discours, et en sa présence les plus jeunes des guerriers surtout