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mélancolique, est-il si doux de vivre dans ces temps déplorables ? Dans ces temps proches de la fin, où tout se dissout et se brise, où l’empire est envahi par les Barbares, où l’église est déchirée par les hérésies, ne vaut-il pas mieux se coucher au pied des marches de l’autel pour se relever avec les saints ? Heureux, mes frères, ceux qui, après s’être beaucoup aimés, meurent ensemble, dans le Seigneur ! — Et l’évêque ne put s’empêcher de jeter un regard du côté de Priscilla, qui écoutait dans un ravissement céleste ces dernières paroles de Maxime. — Mais, hélas ! nous pouvons être séparés par la mort ou par l’esclavage ; si ce sort nous est réservé, que Dieu nous fasse la grâce d’en supporter la cruelle amertume ! — Ici la voix de Maxime faiblit visiblement ; il reprit avec un grand effort : — Mes frères, nous allons communier ensemble pour la dernière fois et nous donner le baiser de paix, qui sera le baiser d’adieu ; mais auparavant nous devons prier pour les malheureux infidèles, qui, dans leur ignorance, attirent de plus en plus sur eux le fléau de la colère céleste. Redites après moi la prière que je vais adresser à Dieu, et prononcez-la du plus profond et du plus vrai de votre cœur. « Mon Dieu, aie pitié de nos ennemis, et sauve ceux qui désirent notre sang ! »

Ces paroles d’une charité sublime, répétées par toute cette assemblée dévouée à mourir, montaient vers les voûtes de l’église comme un encens pacifique ; ensuite tous les assistans s’approchèrent avec recueillement pour recevoir la communion, et chacun, après l’avoir reçue, embrassait le saint évêque. La solennité lugubre de la circonstance fit oublier à Maxime un peu de sa sévérité accoutumée, et quand Priscilla, humble et rougissante, se présenta devant lui, il posa en présence des fidèles ses chastes lèvres sur le front de sa compagne.

En ce moment, quelques zélés néophytes entrèrent avec précipitation dans l’église par une porte secrète. — Mon père, s’écrièrent-ils en tombant aux pieds de Maxime, les Barbares vont venir, tu peux leur échapper encore. Suis-nous à travers les détours du souterrain qui conduit jusqu’à la Moselle ; là, une petite barque t’attend, et, à la faveur de la nuit… — Mes enfans, dit en souriant Maxime, est-ce ainsi que vous venez tenter votre évêque ? N’avez-vous pas lu dans l’Évangile que c’est le pasteur mercenaire, et non pas le bon pasteur, qui abandonne son troupeau à l’heure du danger ? Mais l’offre de votre zèle charitable ne sera pas perdue : je vous confie ma sainte sœur Priscilla, conduisez-la dans un couvent du midi de la Gaule ; qu’elle y prie pour nos âmes, si nos âmes doivent paraître aujourd’hui devant Dieu !

Maxime n’avait pas achevé de prononcer ces paroles, que Priscilla s’était précipitée à ses pieds, et, les baignant de larmes, le conjurait de ne pas la repousser loin de lui en ce moment. — Frère vénérable, lui disait-elle, tu es aussi mon père, mon pasteur : ta fille, ton ouaille