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quelques-uns dont l’indifférence égoïste pour les affaires publiques cédait à la crainte de déplaire au duumvir. Quand ils furent rassemblés à grand’peine, Macer les instruisit du danger qui les menaçait et prononça un discours bref et énergique sur la nécessité d’aviser sans délai à la défense de la cité menacée par les Barbares. Il ne vit sur tous les visages qu’une consternation muette et un morne découragement. Les plus riches étaient agités d’une terreur qu’ils ne cherchaient pas à déguiser, en songeant à leurs trésors et à leurs palais qui allaient peut-être devenir la proie des Francs. Les plus misérables montraient une résignation stupide ; leur regard fixe et terne semblait dire qu’ils étaient indifférens à toutes les calamités et à tous les désastres, que le fisc ne leur avait laissé presque rien à perdre, et qu’une existence triste et opprimée, remplie de vexations et d’inquiétudes, n’était pas un bien qu’ils fussent très jaloux de conserver.

Cependant, quelques-uns des décurions influens s’étant un peu remis de leur premier trouble, la délibération commença, confuse et pleine d’avis contradictoires ou insensés. Aucun de ces hommes n’était préparé à l’événement terrible, aucun ne l’avait prévu. Celui qui était chargé de veiller à la défense de la cité, pressé de questions, avoua qu’il avait entièrement négligé l’objet de ses fonctions. Une partie des fossés avaient été comblés dans des intentions d’agrément ou d’utilité privée. La plupart des tours dont les murailles étaient flanquées tombaient en ruines. Le malencontreux édile confessa même en rougissant avoir soustrait à une portion de murailles qui bordait l’extrémité de ses jardins ce qu’il lui fallait pour bâtir un portique. C’est ainsi que chacun, au lieu de veiller à la conservation de l’état, en tirait à soi les débris.

Pris au dépourvu, les infortunés décurions ne savaient que résoudre. L’un conseillait d’acheter la paix des Barbares. Cette motion, inspirée par la misérable politique qui depuis cent ans perdait l’empire, excita une violente rumeur dans l’assemblée. On parla pour et contre avec vivacité, selon que la peur était plus forte que l’avarice, ou l’avarice plus forte que la peur. D’autres proposèrent gravement d’envoyer une députation à l’empereur pour qu’il préservât des Barbares la Rome des Gaules, ne réfléchissant pas que les Barbares n’auraient peut-être pas la patience d’attendre qu’on eût rassemblé des forces contre eux à Milan ou à Constantinople. On trouvait plus facile de chercher l’abri lointain du manteau impérial que de préparer sur les lieux une résistance énergique. C’est que l’organisation municipale, dont le pouvoir avait fait un odieux moyen de tyrannie, était sans vigueur ; on avait usé l’instrument, faussé le ressort, brisé le levier.

La discussion, s’étant graduellement animée, finit par devenir extrêmement bruyante. Ce n’était pas un zèle sérieux pour le bien public