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Tagal vit exempt de ces dangers à l’ombre de l’autorité européenne. Il paie d’un peu de soumission et d’un impôt que quelques arbres fruitiers plantés à la porte de sa case lui permettent d’acquitter la sécurité qu’on lui assure et la prévoyance que l’on a pour lui. Au moment où l’alcade de Bulacan nous accueillait avec une affabilité et une courtoisie dont les officiers de la Bayonnaise conservent encore le souvenir, les gobernadorcillos arrivaient de toutes parts chargés du produit de cette taxe indulgente. Le son argentin des piastres, que de nombreux employés étaient occupés à compter et à recevoir, s’alliait bien avec l’apparence opulente des villages que nous venions de traverser, avec l’aspect des campagnes que nous avions sous les yeux. Au-delà de Bulacan et jusqu’au village de Malolos, la route n’est qu’un jardin. Vous voyagez sous une voûte de verdure. Le cocotier et l’aréquier marient leurs palmes au-dessus de votre tête, le bananier et l’oranger dominent de leur vert feuillage les haies d’hibiscus. Ce sont les Moluques, mais avec plus de bonheur, plus de gaieté répandus sur la physionomie de la population.

Il faut bien se l’avouer : le bonheur de l’Indien s’achètera toujours un peu aux dépens des profits de la métropole. Il existe cependant un moyen d’augmenter les revenus de l’état sans accroître les charges des peuples; ce moyen, les bons gouvernemens en ont seuls le secret. L’essor des Philippines n’eût point été paralysé par les ménagemens excessifs dont on usait envers les indigènes, qu’il l’eût été par le défaut de contrôle de l’autorité centrale et par la mauvaise gestion des agens détachés dans les provinces. Heureusement, depuis qu’elle a su terminer sa guerre civile, l’Espagne a vu sensiblement s’améliorer ses mœurs administratives. La monarchie de Philippe V aspire à revivre, et chaque jour nous apporte un nouveau gage de sa renaissance. C’est là un des faits les plus considérables de notre époque, un fait dont la politique moderne ne semble pas tenir assez de compte. Pour reprendre le rang qu’elle occupait jadis dans le monde, l’Espagne n’a pas, comme l’Italie, des miracles à demander à la Providence. Son unité politique est constituée; elle possède, avec d’immenses colonies encore inexploitées, une industrie naissante et des populations retrempées par dix années de guerre. Aucun élément de prospérité ne lui a été refusé. Qu’une administration probe et désintéressée lui vienne en aide, et l’Espagne sera bien vite à la hauteur de ses destinées nouvelles, trop heureuse si elle rencontrait beaucoup de dévouemens aussi intelligens et aussi purs que celui de l’homme éminent qui remplissait, pendant notre séjour à Manille, les fonctions de gouverneur-général des Philippines.

Le général Claveria, sorti du corps de l’artillerie, avait fait partie de l’armée de Navarre. La grande guerre pendant les derniers troubles s’était concentrée dans le nord de l’Espagne : la réputation militaire