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d’offrir un siège aux premières autorités du village. » Vaines précautions! ce gobernadorcillo qui, renversé dans son fauteuil de rotin, écoute d’un air distrait les réclamations des callianes[1] qu’il vient de requérir pour la corvée, ce pacha qui joue négligemment avec son sceptre municipal, le baston à pomme d’argent, ne se présentera que le salacot à la main chez le curé. Il écoutera humblement ses admonestations, courbera la tête sous ses remontrances, et, s’il ose s’asseoir chez le padre, ce ne sera, je puis vous le promettre, que sur le bord de sa chaise.

Le gobernadorcillo de Santo-Tomas était un Indien jeune, actif, dont le regard annonçait plus d’intelligence qu’on n’en rencontre d’ordinaire sur ces faces lymphatiques. C’était le favori de don José, pour lequel, contrairement à l’usage, il semblait éprouver plus de sympathie que de crainte respectueuse. Le teint un peu fauve de don José rapprochait, il est vrai, les distances, et le pauvre Tagal ne se fût point trouvé si à l’aise sous le toit d’un Castilla[2]. En face du couvent s’élevait la maison du gobernadorcillo, élégante chaumière entourée d’une espèce de galerie couverte. Pendant que nous rêvions appuyés sur le rebord du balcon, nous voyions entrer et sortir les callianes mandés à comparaître devant le tribunal du capitan. Le gobernadorcillo rendait ses arrêts avec la gravité d’un mandarin, et les exécutait sans désemparer, à l’aide de deux alguaciles. Je crois voir encore cet Indien qu’on étend sur un banc, et qui, maintenu dans cette position par deux officiers de justice, reçoit de la main du capitan je ne sais combien de coups de rotin. Croyez-vous qu’il se plaigne, qu’il s’écrie, qu’il gémisse? Pas le moins du monde. Il se relève après avoir reçu cette correction paternelle, salue et sort. Si l’Indien n’était contenu par la domination espagnole, on ne saurait croire quel abus il se ferait du rotin dans les Philippines. La race malaise a l’instinct du despotisme; dès qu’on lui confie la moindre parcelle d’autorité, elle en abuse; elle ne cède qu’à l’ascendant de la liane et n’en sait point non plus exercer d’autre. Ce ne sont point les conquérans, ce sont les Tagals qui nous ont appris ce proverbe : Donde nace el Indio, nace el bejuco (où naît l’Indien, le rotin pousse).

Le lac de Bay n’est point le seul cratère qui ait formé dans l’île de Luçon une mer intérieure. Entre le détroit de Mindoro et la baie de Manille, la nature a creusé le lac de Bonbon, au milieu duquel un cône volcanique fume encore. De Santo-Tomas, nous devions décrire un

  1. Les callianes forment la classe inférieure, la gent corvéable des villages. Sous le nom de polos y servicios, le code des Indes comprend toutes les corvées pour lesquelles on peut requérir la population, services personnels dont les principales sont exempts.
  2. Castilla, — Castillan, — est le nom que les Indiens donnent dans les Philippines à tous les Européens.