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village de Santa-Cruz. Des bateaux à vapeur établiraient une communication rapide entre la mer et ce nouveau siège du gouvernement colonial. La ville se développerait entre deux rivières navigables pour les pirogues et les cascos. On aime à peupler de riantes demeures cette création de l’avenir, à entourer chaque maison d’un jardin, à élever devant chaque façade un frais péristyle. S’il fallait retrouver ici une ville de guerre gardée par de hautes murailles et pressée dans une étroite enceinte, autant vaudrait laisser le capitaine-général et l’ayuntamiento dans leurs sombres palais ; mais, dans ma pensée, Pagsanjan ne serait point une place forte. Je voudrais qu’on y vît par milliers des villas et des cottages et qu’on y cherchât vainement un canon. Ce serait dans la chaîne de montagnes qui fuit vers Majaijai que j’irais cacher le palladium de la colonie, la citadelle imprenable qui renfermerait les armes et les munitions, l’arsenal d’où rayonneraient les milices pour harceler l’ennemi, pour empêcher sa domination de s’étendre au-delà des murs démantelés de Manille.

Nous ne nous étions point mis en campagne sans quelques lettres de recommandation. Dès qu’on sort de Manille, c’est une précaution indispensable, et, faute de l’avoir prise, on ne trouverait pas une posada dans tous les villages des Philippines. D’ordinaire, c’est le presbytère qui reçoit les voyageurs en détresse; mais on ne se soucie pas toujours d’aller réclamer cette hospitalité banale dont chaque curé peut remplir les devoirs avec plus ou moins de bonne grâce : le métier de parasite a ses inconvéniens. Le gouvernement a compris qu’il devait affranchir le clergé de cette charge, et les voyageurs de ces dures obligations. La plupart des villages posséderont bientôt dans l’enceinte de la maison commune un logement où l’alcade en voyage, l’officier espagnol ou le touriste étranger pourront, sans contracter une dette de reconnaissance qui n’était que trop souvent méconnue, trouver un asile dont ils n’auront à remercier que leur passeport. Pagsanjan était encore privé, au moment de notre passage, de cette utile institution. Qu’on juge de notre désappointement en apprenant que les personnes auxquelles nous étions recommandés étaient le matin même parties pour Manille. Nous trouvâmes heureusement un fonctionnaire pour écrire au des de notre passeport cette formule bienveillante : Que no se los molesten ! qu’on n’inquiète point ces honnêtes gens! et, sûrs désormais de n’être pas pris pour des malfaiteurs, nous entrevîmes avec plus de résignation la perspective de bivouaquer sur la plage. Nous n’étions point cependant destinés à subir cette épreuve. Une heure ne s’était pas écoulée que nous avions trouvé un protecteur et un asile.

Le gouvernement des Philippines a dû suppléer à l’insuffisance des impôts directs par rétablissement de certains monopoles. Il s’est réservé la vente des liqueurs fortes, comme il s’était emparé de la vente du tabac. La sève de deux espèces de palmiers, le cocotier et le nipa.