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reconnaît, de comprendre ce qu’exigent dans les Philippines l’affermissement et la prospérité de la domination espagnole. Que le curé, suivant les conseils d’un saint missionnaire, « serve la cause de Dieu sans nuire à celle de César[1]. » Les ordres religieux ont aujourd’hui une autre mission qu’au temps de la conquête. Leur devoir n’est plus de contrarier les projets de l’administration; ce devoir consiste au contraire à servir des vues patriotiques et fécondes avec intelligence et sympathie.


II.

Pour pressentir l’avenir d’une colonie, il faut d’abord en connaître les ressources naturelles; il faut ensuite, dès qu’on a pu acquérir la connaissance des fondemens sur lesquels repose l’autorité de la métropole, chercher à surprendre cette autorité dans l’exercice de sa puissance. Pendant notre séjour sur les côtes de Luçon, ce fut le hasard qui nous tint lieu de méthode. Une première expédition nous conduisit sur les bords du lac de Bay, dans la province de la Laguna, et nous montra ce que la nature a fait pour les Philippines. Nous ne vîmes cette fois ni les alcades ni le clergé à l’œuvre. Une seconde campagne dans les provinces de Batangas, de Tondo et de Bulacan nous permit au contraire d’apprécier la part d’influence dévolue aujourd’hui à l’élément religieux et à l’élément politique dans l’archipel espagnol.

Sous les tropiques, on ne peut voyager en toute saison. Tant que règnera la mousson pluvieuse, ne songez pas à sortir de Manille. Les routes sont alors impraticables; les ponts de bambou que l’on a négligé de démonter ont été emportés par les torrens; les ruisseaux grossis sont des fleuves. Les mois de janvier et de février sont les plus favorables pour s’avancer dans l’intérieur de l’île. Le mois de mars est sec, mais brûlant. On peut toutefois braver encore ces premières chaleurs, si l’on se met en route long-temps avant le lever du soleil, et qu’on ait soin de voyager à petites journées. Notre première expédition eut lieu pendant le mois de mars, la seconde vers la fin du mois de janvier.

Le passeport que nous avait délivré au mois de mars 1848 le gouverneur intérimaire des Philippines, le général Blanco, ne nous autorisait à visiter que la province de la Laguna. Cette province, qui renferme trente-cinq villages et une population de cent trente-sept mille âmes, doit son nom au lac de Bay, autour duquel s’infléchit la haute chaîne de montagnes dont l’Océan Pacifique baigne l’autre versant. De cette cordillère couverte d’une admirable végétation

  1. Haga la causa de Dios y no impida la del Cesar.