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l’administration. Mais ce système avait le grave inconvénient de multiplier les membres privilégiés de la communauté et d’aggraver par conséquent les charges qui pèsent sur la classe inférieure; on a dû y renoncer et revenir aux premiers erremens.

Cette organisation ne donnait que des chefs de quartier; il fallait un maire, des adjoints, des juges de paix, une police au village. C’est encore à l’élection qu’on les a demandés. Treize électeurs choisis, la moitié parmi les cabezas en place, l’autre moitié parmi les notables qui ont déjà exercé des fonctions municipales, procèdent chaque année, dans le courant du mois de décembre, à la nomination d’un gobernadorcillo, maire ou capitaine du village, d’un adjoint — teniente, — d’un certain nombre d’agens de police — alguaciles, et de trois juges, dont le premier a l’inspection des terres ensemencées, le second des plantations, le troisième des troupeaux. Les gobernadorcillos sont, ainsi que l’indique leur titre, des gouverneurs au petit pied. C’est à leur tribunal que sont déférées les causes civiles tant qu’il ne s’agit point d’une valeur supérieure à 44 piastres. Ce sont eux qui doivent faire la première instruction criminelle et qui reçoivent l’impôt recouvré par les soins des cabezas.

A côté de l’autorité civile vient naturellement se placer, dans un pays aussi catholique que les Philippines, l’autorité religieuse. Les rois d’Espagne avaient poussé la sollicitude pour leurs nouveaux sujets jusqu’à leur nommer un défenseur spécial qui portait, au sein du conseil de gouvernement, le titre de protecteur des Indiens. Cette précaution cependant n’eût point sauvé la population tagale des excès de pouvoir de tant d’agens sans contrôle, si les religieux n’eussent offert à leurs néophytes sur tous les points du territoire une protection plus immédiate et plus efficace. Le missionnaire vivait au milieu des indigènes qu’il avait conquis à la foi et à la couronne d’Espagne. Le village qui s’élevait au milieu des forêts vierges était son œuvre. Il n’avait d’autre joie, d’autre orgueil que de le voir prospérer. Au sein de cette communauté naissante, il était le consolateur et le pacificateur, il était le juge, il était surtout l’avocat. C’était lui qui allait porter à Manille les doléances de ses paroissiens, et qui, grâce à la puissance dont l’investissaient les ordres de la métropole, servait de frein aux exigences de l’autorité locale, souvent même d’entrave aux projets de l’autorité supérieure.

On ne peut le nier, la protection étendue sur les Indiens par le bras du clergé fut souvent excessive. Aucune réforme, aucune amélioration n’était possible, si elle pouvait porter atteinte à la quiétude du paysan tagal. Au moindre symptôme de contrainte, les religieux s’alarmaient pour le bien-être de leur troupeau et assiégeaient le capitaine-général de Manille, le vice-roi du Pérou, la cour même de Madrid, de