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causant du matin au soir, d’une voix plus agréable que forte, sur tous les sujets qui permettent d’être spirituel. Délicat et sobre dans son régime un peu artificiel, il prolonge ses repas et ses soirées. Entouré de livres et de tableaux, de chefs-d’œuvre et de colifichets, des produits de l’Italie et de la Chine, de débris du moyen-âge et de toutes les raretés que Voltaire célèbre dans le Mondain, il devise avec complaisance sur la politique, sur les arts, sur les souvenirs de l’histoire et sur les médisances de la journée. Il conte des anecdotes, aiguise des pensées, hasarde des jeux de mots, et fait le plus grand charme des réunions choisies qu’attirent chez lui la renommée du lieu et celle de l’hôte. Il aime peu, mais il cherche beaucoup à plaire et donne à tous ses défauts un voile, à toutes ses qualités un relief, — la coquetterie.

Walpole vécut trop long-temps pour ne pas perdre beaucoup d’amis, Gray, Montagu, Cole, d’autres encore. Sir Horace Mann ne mourut qu’en 1786, sans l’avoir revu depuis quarante-cinq ans. Conway vieillit avec lui et ne lui fut enlevé qu’en 1795 ; il était feld-maréchal et avait depuis long-temps renoncé aux affaires publiques. Mais c’est surtout la société des femmes qui fut jusqu’au dernier moment le charme de la vie de Walpole. Leur présence animait son esprit ; il leur faisait les honneurs de sa retraite avec une politesse empressée et une galanterie quelque peu surannée. De toute sa famille, il n’avait aimé que ses nièces, qui étaient belles et distinguées. L’une d’elles, lady Waldegrave, qui s’éleva au rang de duchesse de Gloucester, est par lui dépeinte sous les couleurs les plus attrayantes. Il parle avec orgueil de ses vertus et de sa beauté. L’aimable femme de Conway, lady Ailesbury. partagea constamment, avec son mari, le tendre attachement qu’il continua à leur fille unique, mistress Damer, femme agréable, spirituelle, heureusement douée pour les arts et qui enrichit de ses dessins et de ses sculptures le musée de Strawberry. Lady Ossory animait la verve épistolaire de Walpole aux dépens de la société contemporaine. Miss Hannah More, connue par des ouvrages empreints d’un talent élevé et sérieux, s’adressait à un autre côté de son esprit, et il entretenait avec elle d’intéressantes relations. Il avait soixante et onze ans, lorsque le hasard mit sur son chemin et rapprocha de lui, d’une manière durable, les deux personnes qui devaient embellir ses derniers jours et rendre les plus grands services à sa mémoire.

« Je n’ai pas recueilli de récente anecdote dans nos champs, écrit-il le 11 octobre 1788 à lady Ossory ; mais j’ai fait, ce qui vaut beaucoup mieux pour moi, une précieuse acquisition, c’est la connaissance de deux demoiselles du nom de Berry, que j’ai rencontrées l’hiver dernier, et qui ont par hasard pris une maison ici avec leur père pour cette saison… Il les a conduites, il y a deux ou trois ans, en France, et elles en sont revenues les personnes de leur âge les plus instruites et les plus accomplies que j’aie vues. Elles sont