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« 1784, M. Pitt a bravé la majorité de la chambre des communes… C’est assurément un jeune homme extraordinaire ; mais est-ce un être surnaturel ? — 1785. Notre novice enfant de ministre s’est très témérairement et très imprudemment jeté dans une grande difficulté… Son ignorance et son inexpérience ne sont aucunement tempérées par sa vanité et son insolence… Il a certainement des talens parlementaires merveilleux, il n’a pas encore prouvé qu’il en eût d’autres. »

Mais l’histoire de Burke fut celle de Walpole ou du moins de son esprit ; elle fut l’histoire de beaucoup d’Anglais, ancien whigs, orangistes, ennemis de l’absolutisme, révolutionnaires de 1688 ; elle fut celle de Washington, de ce héros d’une révolution républicaine, qui ne put jamais se fier à la révolution française. Cet événement sans exemple, cette crise immense, dont le terme recule sans cesse dans un obscur et lointain avenir, répandit dès son origine dans le monde l’enthousiasme et l’effroi ; il inquiéta, il intimida, il blessa même des amis de la liberté. Walpole fut de ces derniers ; sa politique était très anglaise, c’est-à-dire que ses opinions libérales avaient un fondement historique ; il tenait à la liberté comme à une tradition nationale. La constitution de son pays lui était chère comme l’honneur de sa famille. La Grande-Bretagne est un état libre assurément, mais c’est un ancien régime, et cet esprit de rénovation totale, auquel nos pères étaient condamnés peut-être, aurait été et serait encore, en Angleterre, subversif de la liberté. Prescription et novation sont les deux élémens nécessaires de toute société bien conduite, et quand la nécessité force à exclure absolument l’un des deux du gouvernement, à le sacrifier du moins à l’autre, tout devient difficile, périlleux, long-temps instable, et la société court les aventures. Là où manque la tradition, il ne reste qu’une chose, le raisonnement, et c’est pour cela qu’il fallut à la révolution française s’appuyer sur la philosophie du XVIIIe siècle. Or celle-ci, on le sait, ennuyait Walpole ; peut-être choquait-elle plus son goût que sa raison, mais enfin elle le choquait ; le caractère qu’elle imprima, le langage qu’elle dicta à la révolution, le révoltèrent dès les premiers jours. Lorsque la scène devint sombre et sanglante, son aversion pour la guerre, qui lui avait à peine permis de tolérer la guerre de sept ans, son humanité, qui, même avant Fox et Wilberforce, lui avait inspiré de nobles vœux pour l’affranchissement des noirs, se soulevèrent ensemble à la vue de la France changée en lieu de supplice et de l’Europe devenue un vaste champ de bataille. L’admirateur de Montesquieu ne pouvait goûter l’application brutale des théories absolues de Rousseau, et il fut de ceux qui avaient reçu le fameux livre de Burke sur la révolution comme une œuvre de prophète. Une génération entière partagea et ces indignations et ces craintes. Burke écrivit pour elle, il contribua sans doute à répandre