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Rockingham sur son déclin. Ce cabinet avait essayé d’apaiser les colonies d’Amérique, dont les mécontentemens commençaient à devenir un danger, en défaisant l’œuvre de George Grenville et en rapportant l’acte du timbre. De bonne beure Walpole fut, à l’égard de l’Amérique, pour la politique modérée et conciliatrice ; mais il fallait du temps pour que cette politique triomphât, elle n’était pas même populaire, et, si le ministère l’avait suivie, on l’imputait autant à sa faiblesse qu’à sa générosité. L’opinion publique ne le prenait que comme l’avant-coureur de Pitt. Pitt en jugea de même, et il composa cette administration du duc de Crafton, dont j’ai essayé, dans ce recueil, de caractériser la singulière existence[1]. Conway y conserva sa place, autorisé tout à la fois et blâmé par ses anciens collègues, approuvé et soutenu par Walpole, qui redevint ministériel, et le nouveau lord du sceau privé, complétant la bizarrerie de sa conduite, en ce moment décisif où il pouvait coaliser sous sa direction suprême toutes les forces et toutes les gloires du parlement, échangea le nom de Pitt contre celui de comte de Chatham. Il ensevelit ainsi dans l’oisiveté d’une sinécure le talent de l’homme d’état, dans l’impuissance de la chambre des lords l’éloquence de l’orateur, et dans les loisirs des eaux de Bath et de la vie des champs les ennuis et les souvenirs d’un ministère qu’il abandonnait, pour ainsi dire, comme un enfant mal né.

La position de Conway fut souvent difficile dans cette nouvelle administration, qui, formée pour être plus libérale (je parle le langage de ces derniers temps), l’était moins que celle qu’elle avait remplacée ; et, comme il avait un grand défaut, l’irrésolution, il eut souvent besoin d’être encouragé et conseillé par Walpole, qui, sans cesser d’apprécier son caractère aimable et désintéressé, son esprit flexible et étendu, avait aperçu ce qui pouvait lui manquer en solidité, en énergie, en ascendant sur les hommes. Cette découverte, ses mécomptes personnels, et les difficultés qu’il eut à combattre dans les négociations ministérielles auxquelles il fut mêlé, achevèrent de lui rendre la vie des affaires importune, et, dans les derniers temps de la session, il écrivit au maire de King’s-Lynn, le bourg qui avait élu son père, puis son frère aîné, puis lui-même, avec une invariable fidélité, pour notifier sa résolution de quitter le parlement. Cette résolution, il l’accomplit l’année suivante (1768).

« Je ne crois pas, écrit-il à Montagu, que je m’en repente jamais. Que pourrais-je voir encore, sinon les fils et les petits-fils recommençant les mêmes fautes, rejouant le rôle que j’ai vu jouer aux pères et aux grands-pères ? Pourrais-je entendre une éloquence supérieure à celle de milord Chatham ? Y aurait-il jamais des talens égaux à ceux de Charles Townshend ? George Grenville cessera-t-il d’être le plus fatigant des hommes ?… »

  1. Voyez Junius dans les livraisons de la Revue des 1er  et 15 décembre 1851.