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mon aise et vous dire qu’on ne peut aimer plus tendrement que je ne vous aime, que je crois que l’on est récompensé tôt ou tard suivant ses mérites, et comme je crois avoir le cœur tendre et sincère, j’en recueille le prix à la fin de ma vie. »


On a dit que les lettres de Walpole à Mme Du Deffand n’avaient pas été conservées ; elles méritaient de l’être à en juger par les passages cités en note au bas de celles de sa correspondante. L’Anglais était inquiet de son style ; il craignait que son esprit ne perçât pas à travers son français. Peut-être aussi avait-il sur la conscience les ombrages et les rudesses dont il payait quelquefois le tendre dévouement qui aurait dû désarmer l’orgueil, ne fût-ce que par la pitié. Il aura désiré n’être pas jugé sur pièces, et ses éditeurs auront respecté ou partagé ses craintes. Nous doutons qu’ils aient eu raison. Cette réserve a pu lui nuire. Ses lettres françaises n’auraient pas déprécié son esprit, et elles auraient prouvé que, s’il eut dans ses rapports avec Mme Du Deffand les craintes puériles, les soupçons d’une vanité inquiète, et par suite la sécheresse et la dureté que les hommes portent même dans des affections plus vives et plus puissantes, il ne fut pas insensible au dévouement qu’il inspirait. Il aima Mme Du Deffand comme on pouvait l’aimer et comme il pouvait aimer. Il parle d’elle avec estime, avec respect, avec tendresse à ses autres amis. Il est fier de lui plaire et ne s’en défend pas. Sa correspondance avec elle fut toujours exacte et soigneuse ; il retourna quatre fois à Paris, et il ne cachait point que c’était pour elle. Il n’y revint plus lorsqu’il l’eut perdue. Il avait assurément à personnalité d’un vieux garçon et cet ombrageux sentiment d’un certain décorum qui appartient à son pays ; mais cela empêche-t-il d’être touché d’une affection vraie et d’y répondre sincèrement ? Il était insupportable, d’accord ; il n’était pas indifférent.

Tout le monde a lu les lettres de Mme Du Deffand. Walpole les comparait à celles de Mme de Sévigné, et, pour lui, ce n’était pas peu dire. En cela comme sous d’autres rapports, son admiration pour sa vieille amie nous semble excessive. La triste humeur, le fonds d’ennui, la défiance morose, surmontent la distinction de l’esprit même, et ôtent, non le piquant, mais le charme, à cette correspondance singulière qui, pour la valeur littéraire, rappellerait plutôt les lettres de Mme de Maintenon que les épîtres inimitables de Notre-Dame des Rochers, M", de Maintenon a, comme Mme Du Deffand, l’esprit juste, élégant, naturel, avec de grands préjugés. Mme de Maintenon était aussi ennuyée qu’elle, elle peignait l’ennui comme elle, mais elle n’aimait pas Louis XIV.

Au reste, Walpole faisait bien de remplir et d’animer sa vie par de nouvelles préoccupations. Le moment approchait où il allait dire adieu à la politique. En revenant en Angleterre, il trouva le ministère