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Cependant la guerre ne tournait pas à la gloire de l’Angleterre. La prise de Port-Mahon avait soulevé les esprits et contre le ministère et contre l’amiral Byng. Las de son impopularité, importuné des ombrages et des menées du duc de Newcastle, qui retenait tout et ne gouvernait rien, Fox annonça subitement sa démission. Sa place fut offerte à Pitt, qui exigea la retraite du premier ministre, et le cabinet du duc de Devonshire fut formé. Ce fut le destin et le caractère de Pitt que de ne se donner à aucun parti et de n’en avoir aucun. Avec la supériorité d’un esprit plein de grandeur et d’inégalités, avec la puissance d’une éloquence plus passionnée que judicieuse, il ne pouvait le disputer, pour l’autorité sur la chambre, ni à l’influence pratique de Fox, ni à l’immense patronage de Newcastle. Il était le maître de la situation, ce que les Anglais appellent le lord of the ascendant, et il n’avait pas la majorité dans le parlement. Les deux Grenville, ses beaux-frères et ses collègues, ne la lui donnaient pas, et il fut évident, dès sa formation,, que son ministère ne durerait pas six mois. Le roi, qui le supportait à regret, saisit la première occasion de le dissoudre, et essaya cette négociation que lord Waldegrave a si bien racontée dans ses intéressans mémoires ; mais, quand elle eut échoué, la couronne fut clairement à la discrétion de ces trois hommes, Newcastle, Fox et Pitt. Tous trois avaient appris à transiger. Fox, dégoûté de la responsabilité, ne demandait que le poste de payeur-général. Le vieux duc comprenait que le titre de premier ministre devait perdre de sa réalité, quand le gouvernement de la chambre des communes en était séparé. Pitt leur donna satisfaction à tous deux, et, content des fonctions de secrétaire d’état auxquelles il fut convenu que se rattacherait toute la direction de la guerre et de la diplomatie, il forma avec eux cette administration qui a fait l’honneur de son nom et la douleur de la France.

Horace Walpole parlait légèrement de la gloire des armes : il n’y voyait qu’une vanité de roi ou de nation ; il ne put jamais admettre les raisons de la guerre de sept ans ; il conserva long-temps contre le grand Frédéric une aversion qui ne céda qu’à la séduction de vingt victoires, et il tarda tant qu’il put à comprendre le patriotisme ardent et fier qui poussait Pitt au gouvernement dans un temps de sanglans combats. Il était froissé dans son humanité et indigné dans sa justice par les fureurs qui s’élevaient contre l’amiral Byng, et il prit une part active et zélée aux efforts tentés pour le sauver auprès des chambres et de l’administration. Toute cette tragédie est vivement racontée dans ses mémoires et dans ses lettres, et le rôle qu’il y joua lui fait un véritable honneur : il aperçut aisément quel péril affreux menaçait une tête d’avance sacrifiée. Rien n’indique que Byng eût manqué de résolution ni de dévouement, et son procès prouve surtout l’insuffisance des ordres donnés et des dispositions prises par le gouvernement :