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leurs produits à un prix trop élevé, n’ont pourtant reculé devant aucun sacrifice pour faire tomber des accusations qui étaient trop souvent le résultat des manœuvres des contrefacteurs, car personne n’ignore que les livres ont plus ou moins de valeur selon l’exécution typographique, le format et le papier, en dehors même du prix des manuscrits et des frais de premier établissement, dont les contrefacteurs ne se soucient guère. Or les contrefaçons de Bruxelles, généralement en petit format, ne pouvaient, sous aucun rapport, soutenir la comparaison avec les éditions originales de Paris, presque toujours en format in-8o ou grand in-18 de bibliothèque. Depuis plusieurs années d’ailleurs, les éditeurs ont augmenté leur tirage, et le prix des livres français a diminué en proportion; les éditions en format in-18 se sont multipliées, et ont presque partout été préférées aux contrefaçons belges. On peut dire que les livres français sont actuellement les moins chers d’Europe, surtout bien moins chers que les livres originaux publiés en Belgique, et, une fois la contrefaçon éteinte, on peut croire que, le tirage des livres français augmentant encore, le prix en diminuera sans doute aussi généralement.

Telle est la vérité des faits; mais les contrefacteurs avaient intérêt à l’obscurcir, et rien n’a été épargné pour atteindre le but de leurs spéculations et écouler ainsi leurs produits équivoques au détriment des véritables producteurs. Qu’ont fait alors les éditeurs français? Ils ont publié des éditions spéciales pour les pays étrangers, qui payaient souvent de cette façon nos livres moins cher que les nationaux mêmes. La contrefaçon ne se tint pas pour battue cependant : elle abaissa de nouveau ses prix, au risque de se ruiner, au risque surtout de ruiner ses propres actionnaires, qui ne le savent que trop à Bruxelles. Quelques écrivains français, voyant cette guerre d’un nouveau genre qui leur était déclarée par la spéculation étrangère, s’interposèrent de leur côté, et, dans leur naïve confiance, ils crurent pouvoir proposer d’honnêtes transactions aux contrefacteurs, qui les accueillirent avec le sourire de gens sûrs d’avance de leur capture et peu soucieux du reste de livrer au public un produit meilleur. Nous pourrions citer des faits nombreux à l’appui de nos assertions; nous nous contenterons de parler de ce qui nous touche personnellement.

En 1848, après la révolution de février, le fondateur de la Revue des Deux Mondes pensa qu’il y avait assez long-temps que les contrefacteurs Meline et Cans de Bruxelles s’emparaient d’une œuvre qui nous avait coûté à tous tant d’efforts et de sacrifices. Plusieurs voyages furent entrepris au dehors, surtout dans les Pays-Bas et sur les bords du Rhin, pour appeler à nous un public nombreux que nous enlevait la contrefaçon. Il paraît que la tentative avait assez bien réussi, puisque le libraire Meline prit le parti de venir à Paris nous proposer une transaction. Ce n’est qu’avec une certaine défiance que les ouvertures furent acceptées; mais on avait soin de nous faire observer que c’était alors le seul moyen de mettre fin à la contrefaçon, on stipulait d’ailleurs qu’on y renonçait pour l’avenir. C’était donc à nos yeux (et nous ne le cachions certes pas) une espèce de rançon qui devait nous racheter désormais de l’industrie de ces messieurs : nous adhérâmes à la transaction qu’on nous proposait, en l’entourant toutefois de précautions et de stipulations qui devaient être rigoureusement exécutées. Hélas ! y a-t-il sérieusement quelque chose à prévoir et à stipuler avec les praticiens de la contrefaçon? Il faut