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REVUE DRAMATIQUE.

Je ne suis pas de ceux qui reprochent à M. Ponsard d’avoir choisi Ulysse pour le héros d’une tragédie, encore moins de ceux qui considèrent la forme tragique comme un non-sens dans notre temps. Je crois la tragédie tout aussi logique, tout aussi acceptable que la comédie, n’en déplaise aux esprits exclusifs qui veulent absolument fondre la comédie et la tragédie dans le drame. Bien qu’il soit de mode aujourd’hui de traiter les sujets antiques comme de vieilles guenilles, je persiste à penser que la poésie peut au XIXe siècle, aussi bien qu’au XVIIe, choisir ses héros dans la vieille Grèce et dans la vieille Italie, sous la tente des patriarches, parmi les pâtres de Chaldée, ou dans la terre des Pharaons. Schiller et Goethe, que personne sans doute n’accusera d’avoir dédaigné ou méconnu les leçons de Shakespeare et de Calderon, n’ont pas cru que la forme tragique fût incompatible avec l’esprit de notre temps. Goethe n’a pas craint de mettre Iphigénie sur la scène après Euripide, et Schiller a écrit la Fiancée de Messine avec autant d’ardeur et de conviction que Don Carlos, Wallenstein et Guillaume Tell. Il ne faut pas s’inquiéter des esprits frivoles qui ne demandent au théâtre qu’un amusement stérile, et pour qui la tragédie est synonyme d’ennui. Que répondre, en effet, à ces âmes indolentes et blasées qui préfèrent la Tour de Nesle à Cinna ? Il est vrai que Cinna est moins amusant ; mais de tels argumens ne comptent pas dans la discussion. A mes yeux, la tragédie, la comédie et le drame sont trois formes également légitimes. Ce qui importe aujourd’hui, c’est de remonter jusqu’aux sources, de consulter les documens originaux, d’aborder l’antiquité directement, d’interroger Eschyle et Sophocle, et de leur demander le secret de la grandeur et de la simplicité. C’est à cette condition seulement que la forme tragique pourra se rajeunir et se renouveler.

Le XVIIe siècle ne comprenait pas l’antiquité comme nous la comprenons aujourd’hui. Il rêvait une Grèce, une Italie à l’image de la France, et préférait les tirades sentencieuses d’Euripide aux mâles accens d’Eschyle, au dialogue pathétique de Sophocle. Aussi, malgré les mérites très réels qui le recommandent, Racine ne saurait être accepté comme peintre fidèle de la vie antique. Qu’il nous transporte en Aulide ou dans le palais des Césars, il songe trop souvent à la cour de Versailles. L’hommage éclatant qu’il rend au gendre d’Agricola ne saurait fermer nos yeux à la couleur toute moderne de plusieurs scènes de Britannicus. Néron et Agrippine, étudiés avec une grande finesse, et très vrais, humainement parlant, ne sont pas précisément des personnages romains. Athalie même, si vantée pour le caractère biblique, ne s’accorde guère avec le Livre des Rois. Pour les spectateurs, pour les lecteurs du XVIIe siècle, Athalie était un poème plein de hardiesse et de nouveauté ; pour nous, je veux dire pour tous ceux qui connaissent le Livre des Rois, c’est une imitation timide et infidèle de la chronique hébraïque ; ce n’est pas même le profil de la vérité. Le poète n’a tenu compte ni des temps ni des lieux, et s’est contenté de fouiller dans l’âme d’Athalie et de Joad pour nous montrer toutes les souillures de l’usurpatrice, toute la grandeur du prêtre fervent et dévoué. Corneille, dont Voltaire a tant célébré l’âme romaine, ne traitait pas l’antiquité avec plus de scrupule que Racine. Il suffit de lire dans Tite-Live le récit du combat des Horaces et des Curiaces pour comprendre que, s’il était