Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/190

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du peuple magyar et la nature des idées qui l’ont entraîné, en 1848, dans une lutte, nous dirions presque involontaire, bien qu’une fois engagé, il y ait déployé beaucoup de passion. La presque totalité des soldats et des chefs n’avait aucune notion de la démocratie, et ne songeait nullement à ce que l’on entend d’ordinaire par le mot de révolution. Bien plus : si la guerre est devenue par la suite une guerre d’indépendance contre l’Autriche, elle n’était à l’origine qu’une guerre de suprématie entre les Magyars et les Slaves de Hongrie. Les circonstances ont donc fait beaucoup plus pour mettre la Hongrie directement aux prises avec l’Autriche que les combinaisons des hommes de parti portés par les événemens à la tête de l’insurrection. Parmi eux, Kossuth est le seul qui eût la nature et les instincts d’un tribun démocratique. Aussi est-il renié aujourd’hui non pas seulement par Georgey dans ses récens mémoires, mais par ceux mêmes qui accusent Georgey d’avoir mis beaucoup d’obscurité dans sa conduite, notamment par Batthyani et par tous les hommes qui ont exercé sur les masses magyares une influence sérieuse. Les Magyars, en effet, sont essentiellement conservateurs, et nous ajouterions volontiers foncièrement Autrichiens.

Le jeune empereur d’Autriche a donc été accueilli par des fêtes qui se sont renouvelées partout sur son passage, à Buda-Pesth et à Temesvar, au milieu des traces de destruction encore fumantes, à Debreczin même, dans cet immense village, foyer de magyarisme, auprès duquel le gouvernement insurrectionnel avait naguère trouvé une hospitalité chaleureuse derrière les marais de la Theiss et les steppes. Cependant la politique toute seule ne suffirait point à expliquer l’empressement enthousiaste avec lequel toutes les classes de la population magyare sont accourues au-devant de l’empereur. Il faut se rappeler qu’en Hongrie rien ne se fait sans que le lyrisme y soit pour quelque chose. On n’y parle point, on y chante ; c’est un hymne perpétuel, soit qu’il s’agisse des malheurs ou des gloires, des tristes pressentimens ou des espérances du pays. Les Magyars sont restés un peuple jeune à travers toutes les phases de leur histoire politique ou littéraire, sans avoir pour ainsi dire d’âge mûr. Pour peu qu’ils soient émus, leur imagination s’exalte immédiatement au ton de l’épopée. Qu’a donc fait l’empereur pour inspirer à ce degré l’enthousiasme d’un peuple qui lui livrait, il y a trois ans, de si rudes batailles ? Il a fait plus que s’il eût, en un clin d’œil, réparé tous les désastres causés par la guerre, et que s’il eût doté la Hongrie des institutions les plus parfaites : il s’est montré sous l’uniforme magyar, il a parlé en langue magyare. Du moment où l’empereur fait aux Magyars, en les visitant, la concession d’emprunter à leur nationalité son costume et sa langue, le passé n’est plus rien pour eux ; les voilà qui se déclarent prêts à mourir pour François-Joseph, comme autrefois leurs grands-pères pour Marie-Thérèse, et la Hongrie retentit de nouveau du célèbre moriamur pro rege nostro !

Sans nul doute, la haute aristocratie va tenter de se faire de cet enthousiasme un argument en faveur de la vieille constitution hongroise, dont elle réclame avec beaucoup d’activité, depuis deux ans, le rétablissement ; mais la centralisation et la bureaucratie sont déjà entrées en quelque sorte en possession du sol. Le gouvernement autrichien a trop d’avantages à ce qu’elles ne rendent point les positions qu’elles ont prises à la fois sur la féodalité et sur