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plus sérieuses. Voyez cependant le pays pratique par excellence, l’Angleterre : là, les hommes d’état les plus éminens citent quelquefois Virgile et Horace en plein parlement. C’est qu’après tout la culture de l’esprit n’est point aussi inutile qu’on le pense, même dans la politique. L’intelligence littéraire a toujours sa place et son rôle ; ce n’est point l’historien de Shakspeare et de Corneille qui en doute, lui qui, dans une préface éloquente, rappelle quelques-uns de ses mauvais jours pour la montrer supérieure aux épreuves.

Tournons nos regards vers l’extérieur. La Belgique, remise de sa récente agitation électorale, reste encore dans la situation incertaine créée par le résultat du scrutin. Ce n’est point, comme nous l’avons dit, que ce résultat fût décisif pour déterminer quelque changement subit ; mais les pertes éprouvées par le ministère étaient assez réelles pour lui susciter quelque embarras, ne fût-ce que par cette question universellement posée de savoir s’il resterait au pouvoir. Le cabinet lui-même n’a rien décidé encore, à ce qu’il semble, à ce sujet ; quelques-uns de ses membres sont hors de Bruxelles, le roi Léopold lui-même est à Wiesbaden. Cela n’empêche point, au reste, que l’existence du cabinet belge ne soit très réellement en question, et que sa retraite ne doive être l’objet d’une prochaine délibération en conseil. Le ministère se décidera-t-il à garder le pouvoir ou à se retirer ? Il est fort probable qu’il ne se dessaisirait pas du gouvernement, s’il n’y avait que M. Rogier. M. Rogier a une raison très péremptoire, c’est qu’il aime le pouvoir ; il s’y croit indispensable, et il souffre naturellement de voir mal aller les affaires de son pays lorsqu’il n’est plus ministre. Quant aux autres membres du cabinet, plusieurs ne comptent pas comme hommes politiques. Le ministre de la justice, M. Tesch, penche ouvertement pour la retraite, dans l’intérêt même de l’opinion libérale. Le ministre le plus important avec M. Rogier, M. Frère-Orban, serait lui-même assez disposé à se retirer. Ses motifs peuvent être tirés également d’un intérêt de parti, mais peut-être tiennent-ils aussi à des considérations personnelles. M. Frère, jeune encore, semble se soucier assez peu de rester lié à la fortune sur le retour de M. Rogier. Si on pouvait douter d’ailleurs de l’activité et de l’ardeur libérale de M. Frère, on n’aurait qu’à jeter les yeux sur une brochure qu’il a publiée récemment sous le nom de Jean Van Damme en réponse à M. de Decker. Cela peut prouver du moins qu’en Belgique les ministres ont les loisirs nécessaires pour écrire des brochures. Toujours est-il que M. Frère, se sentant un avenir politique, ne semblerait point éloigné de quitter le ministère. Telle est aujourd’hui la situation ; elle se dessinerait indubitablement mieux encore, si, comme on l’a dit, les chambres sont convoquées vers la mi-juillet. Une des difficultés les plus épineuses pour le ministère de Bruxelles, c’est toujours le traité de commerce avec la France. Le cabinet a cherché à donner une satisfaction aux Flandres en envoyant à Paris im négociateur spécial, M. Charles Liedts, ancien président de la chambre des représentans, ministre d’état, gouverneur du Brabant et même désigné comme ministre probable ou possible en cas de retraite du ministère actuel. Les négociations se poursuivent activement aujourd’hui dans des conférences régulières. Nous osons croire qu’elles aboutiront : une conclusion est d’autant plus urgente, que la convention de 1846 expire, comme on sait, le 10 août prochain ; mais d’ici là même le cabinet belge existera-t-il ?