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nalistes, à leur tour, se font évêques, et prononcent doctoralement sur tout, comme d’habitude, justement parce qu’ils n’ont qualité pour prononcer sur rien. Un autre danger que nous signalerions volontiers, c’est celui qui consiste à transformer en sujet de polémiques bruyantes, en thème d’innovations préconçues, l’éducation publique, c’est-à-dire la chose qui a le plus besoin de traditions, de pratique, d’expérience et, si l’on nous passe le mot, d’obscurité ; — oui, d’obscurité, car ce n’est que dans le silence, à l’abri des surexcitations extérieures et par une vigilance assidue, que s’accomplissent les réformes vraies, justes et efficaces. Dès que le bruit des polémiques intervient, l’esprit de système l’emporte ; il s’exalte par la contradiction, s’obstine dans ses expériences. Or quel est le champ d’expérimentation ? C’est l’ame de la jeunesse, c’est l’intelUgence de toute une génération. Il arrive infailliblement de la sorte qu’on compromet les choses qu’on voudrait le mieux défendre, — la religion d’abord, en mettant sous son voile les vues particulières d’imaginations souvent chimériques, et l’éducation publique ensuite, en dénaturant ses conditions les plus essentielles. Ces inconvéniens, nous l’avouons, ne nous semblent point suffisamment compensés par les avantages qui résultent, pour la société et pour l’église elle-même, de la célébrité que M. l’abbé Gaume s’est acquise en renouvelant, sous une autre forme, la vieille querelle des anciens et des modernes.

Si M. l’abbé Gaume voulait dire que le paganisme en lui-même n’est point une chose bonne à enseigner, s’il voulait prouver que la renaissance a trouvé parfois des zélateurs excessifs, qu’il y a eu dans ce niouvement des enivremens singuliers, des puérilités bizarres, il n’y aurait assurément rien à dire, si ce n’est que ces vues ne brillent point par la nouveauté ; mais il est évident que c’est l’antiquité tout entière qui est mise en cause dans tout ce qu’elle a produit, pensé, légué après elle. Aux yeux de M. l’abbé Gaume, la merveille de la latinité, ce n’est plus la langue de Rome du temps d’Auguste c’est l’idiome du viiie siècle, c’est la langue des classiques du moyen-âge. Il est vrai que ces classiques rudoyaient quelque peu la grammaire et n’avaient nulle frayeur des solécismes ou des barbarismes, comme il résulte d’une lettre de saint Grégoire ; mais il parait que ce n’est plus un inconvénient pour l’enseignement d’une langue. Sérieusement, en quoi peut-il être nécessaire de voir dans Horace et Virgile de mauvais poètes pour trouver que Grégoire-le-Grand, saint Léon, saint Thomas, ont été de grands chrétiens, de grands docteurs, de grands esprits, même avec leurs barbarismes ? M. l’abbé Gaume, qui est fréquemment sujet à des confusions de ce genre, semble ne point comprendre que dans l’antiquité réputée classique jusqu’ici il y a des choses bien diverses. Il y a tout ce qui est transitoire et périssable dans sa corruption, tout ce qui constitue le paganisme, dont les fictions sont venues s’évanouir à la lumière du christianisme, et il y a cette admirable culture appliquée aux choses d’un ordre naturel et qui touchent à l’homme de tous les temps, de toutes les civilisations. Le souffle chrétien a purgé le monde antique de ses dieux, et il est resté des esprits merveilleusement doués, décorant de poésie, comme Homère, la vie guerrière et domestique de la Grèce, créant les plus fortes méthodes comme Aristote, plongeant, comme Platon, jusqu’où l’œil humain peut aller dans les profondeurs métaphysiques, décrivant les beautés