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Et son dos inégal, et sa croupe difforme
Et son flanc creux et déhanché.

Lui, calme, indifférent à cette foule vile.
D’un air mélancolique il traverse la ville
Pleine de boue et sans soleil;
Son œil intelligent, doux comme un œil de femme.
Dans un rêve lointain voit, sous un ciel de flamme,
Une plaine au sable vermeil,

Les déserts de l’Asie où règne le silence,
Où l’Arabe en passant accroche de sa lance
Les verts éventails des palmiers,
Et le gras pâturage où paissent les chamelles,
Et le pâtre qui fait jaillir de leurs mamelles
Le lait sous ses doigts familiers.

O dromadaire ami, voyageur intrépide.
Toi qui fais fuir le sol dans ta marche rapide
Sans craindre la soif ni la faim.
Roi frugal du désert, coureur inépuisable
Dont le pied hasardeux franchit les mers de sable,
O compagnon du pèlerin!

Ton instinct au désert devine la tempête,
Et ton flair délicat, la source d’eau secrète!
O richesse de l’Orient,
O noble dromadaire, hôte de la famille,
Dans ton pays natal, plus d’une jeune fille
Flattait ton col en souriant!

Est-ce toi que j’ai vu, sous un ciel sans nuage,
Au milieu des buissons passer comme un orage
Sur les bords déserts du Jourdain?
— O toi qui partageais le café de ton maître,
Hadjin impétueux, comment te reconnaître
Dans ce rôle de baladin?

Pardonne à ces enfans d’une terre étrangère :
— Leur cœur n’est pas méchant, mais leur tête est légère;
Pardonne à leur triste gaîté.
Car ils ne savent pas que sous ta rude écorce
Sont cachés des trésors de courage et de force,
De patience et de bonté!


CHARLES REYNAUD.