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premier des arts ? Et, dans ce champ fertile, quelle portion veux-tu choisir ? Qui te séduit davantage, les luttes du barreau, les déclamations de l’école, les invectives contre les tyrans, ou les éloges des empereurs ? Ce dernier genre est le plus noble et le plus magnifique. Si tu suis cette route, mon expérience pourra t’y servir de guide. Mon faible talent s’est essayé dans le panégyrique, et si tu étais curieux de connaître…

— Illustre Capito, dit en l’interrompant Lucius, qu’un instinct secret avertissait d’éviter cette confidence, je ne me sens nullement tenté d’ajouter un nom de plus aux innombrables noms des rhéteurs célèbres de l’empire. — Que faire dans la carrière du barreau ? — M’enrouer pour faire replacer une borne ou casser un testament ? appeler à moi les mouvemens oratoires de Démosthène et de Cicéron pour prouver que Mycillus a commis un adultère, ou que Damon a volé un chevreau ? — Me consacre rai-je aux déclamations de l’école ? Mais quelle occupation plus misérable que de s’échauffer à froid sur une thèse imaginaire et souvent ridicule ! — Me ferai-je l’accusateur des tyrans qui ne sont plus ? Irai-je chercher querelle à Phalaris et à son taureau ? Mais n’est-ce pas frapper l’eau d’un glaive, ou porter un coup de ceste dans le vide ? — D’autre part, louer les vivans, n’est-ce pas une fonction ingrate et difficile ? Comment chatouiller ces palais rassasiés d’éloges ? Comment rajeunir la flatterie usée ? ou comment découvrir une flatterie nouvelle ? Il faut pour cela un génie que les dieux ne m’ont point départi ; il faut, — pardonnez, illustre Capito, je ne connais point votre panégyrique, qui, je n’en doute pas, ne ressemble à aucun autre, — il faut se mettre l’esprit à la torture pour découvrir une louange tellement bizarre, que la bassesse ne s’en soit pas avisée, une flatterie qui étonne celui à qui elle s’adresse, et fasse dire aux auditeurs transportés d’admiration : — En vérité, nous ne savions pas que l’adulation pût aller si loin et descendre si bas !

Ici Lucius s’arrêta en voyant la surprise et la consternation qui se peignaient sur les traits de Capito. Il semblait saisi d’horreur et d’effroi ; toutes ses idées étaient bouleversées ; sa faconde ordinaire était muette ; il ne put trouver une parole, et se contenta de lever les mains et les yeux vers le ciel avec un gros soupir de désespoir qui semblait dire : Faut-il que j’aie vécu jusqu’à ce jour pour entendre de pareils blasphèmes !

Macer ne put s’empêcher de sourire en le voyant pétrifié de la sorte par les paroles de Lucius, et, s’adressant à celui-ci : Tu es sévère, mon fils, pour la philosophie et les lettres.

— Pour la sophistique et la rhétorique, mon père.

— N’importe, mon fils, je ne me chargerai pas de les défendre contre toi. Quand ton oncle aura retrouvé son éloquence, il foudroiera tes mépris, que je trouve exagérés. Me reposant sur lui d’un soin dont il