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pas toute sa force, comme un chasseur qui tend un arc, à accomplir la tâche qui nous est dévolue. »

Telle est la vie de John Sterling. Nous ne ferons sur cette existence qu’une seule observation : Sterling a été, comme tout le monde dans notre siècle et surtout comme tous les hommes spécialement attachés à une profession intellectuelle, inquiet et tourmenté. Il a erré de système en système, cherchant une croyance, interrogeant tous les bruits. De pareilles existences, surtout pour un tempérament de la vivacité de Sterling, sont pleines de périls. Parmi tous les hommes qui ont eu les mêmes doutes et les mêmes tourmens, bien peu ont échappé à ces périls. Tous ont commis quelques crimes intellectuels; le désespoir, le mépris, le cynisme, la colère, que sais-je encore? se sont emparés d’eux et en ont fait leurs victimes; mais Sterling est véritablement une exception : il a eu l’art, l’adresse, la vertu d’échapper à tous ces périls. Avec un sens singulièrement pratique, il a su tirer parti de tous ses doutes, il les a utilisés, il a su les transformer en élémens de piété et de religion ; il a marché légèrement sur le bord des abîmes, comme les croyans sur le pont d’acier de Mahomet. La souplesse, l’agilité qu’il a employées à franchir les sentiers dangereux, sont remarquables. Ses écrits ne témoignent pas d’un grand esprit, mais d’une intelligence singulièrement claire et aimable. Ce qui les distingue surtout à partir de sa conversion, c’est un profond sentiment d’humilité. Je ne sais si toutes les opinions de Sterling étaient bien orthodoxes; mais ce que je sais, c’est que le sentiment chrétien domine dans la moitié au moins de ces pages légères, lumineuses et douces. Si la première vertu d’un chrétien c’est la bonne volonté, incontestablement Sterling l’avait. Il revient toujours à cette nécessité de la bonne volonté dans ses écrits; c’est sur elle qu’il établit le fondement de ses pensées, c’est au moyen d’elle qu’il classe les hommes et les sépare, selon qu’ils possèdent à des degrés divers cette vertu indispensable. Oui, c’est bien un enfant de ce siècle; mais le vent révolutionnaire et sceptique lui a à peine donné un frisson qui s’est, grâce à sa frêle constitution, fait sentir plus ou moins durant toute sa vie.

Comme écrivain, on peut diviser ses écrits en deux catégories : les écrits insérés dans l’Athenœum, où se montre sa première manière, imitation et souvenir de la littérature antique, et ses essais écrits pour le Westminster Review ou le Blackwood’s Magazine, où la philosophie germanique a laissé des traces, et où l’esprit du christianisme domine tout-à-fait. Ce que je préfère de lui, c’est une série de pensées intitulées Cristaux d’une caverne et Sayings and Fssayings (Dires et Essais), où il se montre à nous comme une sorte de Novalis qui se sert d’une lorgnette pour regarder les objets, et de la lampe des mineurs d’Humphry Davy pour pénétrer dans les galeries secrètes de