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Carlyle, une des meilleures choses qui aient été écrites sur lui, bien que ce soit plutôt une description qu’une explication du génie du philosophe. De Clifford il va à Falmouth, afin de s’embarquer pour Madère; une fois arrivé à Falmouth, il trouve le climat doux, la société agréable, et il y séjourne deux hivers. Là Sterling vécut dans l’intimité d’une singulière société, la société des sectaires. Il se trouva mis en relations avec quelques-unes des familles célèbres du quakerisme, la famille Fox entre autres, une de ces familles religieuses connues de toute l’Angleterre, et qui exercent sur leur secte la même influence que les familles des Russell, des Stanley exercent sur l’état. Ces familles opulentes et sévères, pleines d’intelligence et de goût pour les choses intellectuelles, sont dans chaque ville de véritables centres que visitent au moins une fois dans leur vie toutes les supériorités scientifiques ou littéraires du pays. « Des gens très dignes, très respectables, et avec lesquels il m’est très agréable de vivre, écrit Sterling; ils sont en relations avec toutes les célébrités quakers, les Gurney, les Fry, etc., et aussi avec Buxton l’abolitioniste. Il est très drôle de les entendre parler de tous les sujets ordinaires de la vie, de la littérature et de la science. Connais-tu Wordsworth? vous demandent-ils. As-tu vu le couronnement? Veux-tu prendre quelque rafraîchissement? Ils sont vraiment très agréables à connaître. » Mais bientôt il fallut abandonner cette société, et fuir de nouveau en Italie. A son retour, le malheur, qui ne le quittait plus, frappa sur lui à coups redoublés. L’affection qui le consumait prit un caractère plus grave dès les premiers mois de 1843, et en ce moment même il apprit la nouvelle de la maladie de sa mère, qui ne devait plus se relever. Quelques jours après la mort de sa mère, sa femme meurt après avoir donné naissance à une petite fille; le vieux Edouard Sterling, alors retiré de la rédaction du Times, frappé par ces coups redoublés, devient infirme. John Sterling ne survécut pas long-temps à tous ces malheurs qui venaient de le frapper avec la rapidité de la foudre, et il mourut au milieu de l’année 1844, après avoir écrit à son fils Edouard, alors à Londres, une lettre dont nous détachons ce fragment : « Londres était une partie de moi, et j’étais une partie de Londres. Lorsque je pense que vous vous promenez dans les mêmes rues, le long des mêmes rivières que moi autrefois, lorsque j’étais plus jeune encore que vous ne l’êtes, j’ai envie de fondre en larmes, non de chagrin, mais par un sentiment qui ne peut être exprimé. Tout est si merveilleux, si grand et si saint, si triste, et triste sans amertume cependant, si plein de la mort et si voisin du ciel! pouvez-vous comprendre quelque chose à tout ceci? Si vous le pouvez, alors vous commencerez à comprendre quelle chose sérieuse c’est que la vie, combien il est indigne et stupide de la dépenser sans souci, quelle créature misérable, insignifiante, indigne on arrive à être lorsqu’on n’emploie