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remarquable que Coleridge, qui n’est pas encore jugé, et qui me semble avoir eu surtout plus qu’aucun autre homme de notre siècle le sentiment du surnaturel. Tout tendait chez lui vers ce but invisible; malgré toute sa métaphysique et ses études philosophiques, il n’avait rien du rationaliste, et la logique le gênait plus qu’elle ne l’aidait. Coleridge n’a eu qu’un malheur, c’est d’avoir voulu être un métaphysicien. La logique, la dialectique et tous les talismans de l’esprit philosophique ont été pour lui de véritables sortilèges, ont enchaîné son talent et brisé ses ailes bien plus encore que cette déplorable habitude de l’opium qu’il avait contractée à l’époque dont nous parlons. Les syllogismes, l’avidité de savoir, le kantisme, et le plaisir de pénétrer la pensée d’autrui, trop de dilettantisme, trop peu de méthode et trop de potions d’opium le réduisirent à l’impuissance. Un singulier mélange que Coleridge! le mélange d’une belle ame, d’un remarquable esprit et d’un assez triste caractère! Il connaissait pourtant ses infirmités morales, et était capable de les avouer indirectement dans les rapides momens où, l’enivrement de la parole cessant, il pouvait faire un retour sur lui-même. Carlyle cite un mot de lui qui nous a causé une impression douloureuse, et dont il n’a pas l’air de soupçonner la tristesse. « Ah! votre thé est trop froid, monsieur Coleridge, disait en présence de Carlyle son hôtesse, Mme Gilman. — C’est mieux que je ne mérite, grommela-t-il dans un sourd et bas murmure à moitié courtois, à moitié pieux, dont j’entends encore l’accent, c’est mieux que je ne mérite. » À cette époque, Coleridge n’était plus le radical d’autrefois, le rêveur et utopique inventeur de la pantisocratie; il avait mis tout cela de côté, et était tombé dans l’extrême opposé. Il était parvenu à se débarrasser de son scepticisme, et « il possédait seul, ou à peu près seul alors en Angleterre, dit Carlyle, le secret de croire par la raison ce que l’entendement avait rejeté comme incroyable. Il pouvait encore, après que Voltaire et Hume avaient fait tous leurs efforts pour abattre son courage, se redresser, se proclamer un chrétien orthodoxe, et dire à l’église d’Angleterre : Esto perpetua. C’était un homme sublime, et qui, seul dans ces jours ténébreux, avait sauvé la couronne spirituelle de son humanité, qui avait pu échapper au matérialisme et aux déluges révolutionnaires, et conserver sa croyance en Dieu, la liberté et l’immortalité. Les intelligences pratiques du monde se souciaient peu de lui, et le considéraient avec dédain comme un rêveur métaphysique; mais, pour les esprits de la jeune génération qui s’élevait, Coleridge avait un caractère sublime, et il apparaissait comme une sorte de mage enfermé dans le mystère et l’énigme. » C’est près de cet homme que Sterling passait souvent de longues heures; il écoutait avec enthousiasme ses révélations du monde surnaturel, et ses mille aperçus sur les hommes et les choses, les arts et les sciences, se