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temps que le choix d’une profession, et surtout pour les esprits de la trempe de celui de Sterling. Quelle profession embrasser, lorsqu’on est convaincu qu’on a un devoir à remplir, mais qu’on ne sait pas au juste lequel, ou lorsqu’on est même inquiet de savoir si l’on en a un, et s’il existe telle chose qui s’appelle devoir et obligation, questions dont personne n’est sûr aujourd’hui, et que tout jeune homme sérieux se pose au moment d’entrer dans la vie ? Ce qui distingue la vie contemporaine de la vie d’autrefois, c’est l’entier abandon où l’homme est laissé par son semblable, même par ceux qui lui sont le plus attachés ; des instincts mal démêlés sont la seule chose qui guide l’enfant et qui l’engage dans la route qu’il doit suivre. Pourquoi la suit-il ? il n’en sait rien, et, à l’époque où il songe à la poser, cette question devrait être résolue depuis long-temps. John Sterling en était là à sa sortie de l’université. La carrière d’avocat ou de médecin ne pouvait lui convenir. L’administration ou l’industrie exigent des habitudes sédentaires et régulières, et Sterling avait un défaut qui est celui de beaucoup d’autres: il était dans un état de permanente agitation et ne pouvait tenir en place. Un faible tempérament, déjà atteint par la phthisie, l’empêchait d’ailleurs d’accepter des occupations trop régulières. Dans de pareilles conditions, il n’y a, selon nous, que trois manières de régler sa vie : ou bien en faire une vie de plaisirs, épicurienne, mais d’un épicuréisme agité, fiévreux et mondain, ou bien se faufiler et se plonger ensuite dans la vie publique, — affaires politiques, diplomatie, parlemens, si toutefois l’on vit dans une époque de parlemens, — ou bien enfin se jeter dans la carrière la plus orageuse, la plus instable qu’il y ait au monde, la carrière littéraire, et c’est à ce parti que s’arrêta Sterling, après avoir fait quelques tentatives sans résultat auprès de divers membres du parlement pour entrer dans la carrière diplomatique. Au sujet de toutes ces tribulations et de l’insouciance avec laquelle les hommes de notre temps laissent les diverses aptitudes qui pourraient être utiles s’épuiser ou se perdre, Carlyle se demande très justement si les chefs de la société ne pourraient pas, avec de l’intelligence et de la pénétration, remédier à un pareil état de choses. N’y a-t-il donc au monde que ces deux ou trois carrières, baptisées de nos jours du nom de carrières libérales, et n’y a-t-il pas des milliers de moyens d’employer certaines aptitudes, certains caractères à tournure bizarre ? Évidemment oui, mais seulement dans les temps qui ont une manière de vivre large et précise à la fois ; les anciennes sociétés, l’église du moyen-âge elle-même, étaient, sous ce rapport, plus avancées que nous. « Un jour, dit Carlyle, les hommes penseront à la force qu’ils laissent éparpiller dans chaque génération et au dommage fatal qu’ils causent à l’humanité par cette négligence. »

John Sterling se résolut donc à embrasser la carrière littéraire, et