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tombent sous le couteau, « pressées, dit l’auteur, comme les feuilles sèches en automne. » C’est un récit merveilleux. De tous les livres qui ont été écrits sur la révolution, c’est celui qu’on lira le plus long-temps, et dont la signification s’épuisera le moins vite. Les différentes histoires qui ont été écrites sont déjà dépassées, et leurs théories reconnues fausses. Les Considérations de M. de Maistre, le livre le plus remarquable que la France ait produit sur ce sujet, le plus prophétique et le plus profond, est dépassé lui-même. Seule, la théorie de Carlyle résiste, et, selon toute probabilité, triomphera des événemens futurs, comme elle a déjà triomphé des événemens des dernières, années, qui lui ont donné pleinement raison.

A partir du livre intitulé Chartisme, la manière de Carlyle se gâte; ses couleurs deviennent de plus en plus sombres; il tourne au noir. Tous ces écrits, très remarquables d’ailleurs, et qui ne pourraient être d’un autre que de lui, ont deux grands défauts : ils sont confus et brisés. Il y a bien des théories originales, bien des idées neuves dans le Chartisme, le Past and Present, les Lettres de Cromwell, les Latter days Pamphlets; mais elles y sont éparpillées, émiettées, et perdues au milieu d’un véritable chaos d’invectives, d’apostrophes, de colères et de plaisanteries. Les Latter days Pamphlets surtout, qu’on a déjà fait connaître aux lecteurs de la Revue[1], portent à toutes les pages l’empreinte de ces défauts. La révolution de février avait mis le brave Carlyle en fureur, et alors insurrections, parlemens, politique de lord Palmerston, rois fuyant devant l’émeute, littérature contemporaine, réactions politiques, rien ne fut à l’abri de ses coups. Toutes les choses dont un Anglais est fier, son parlement, sa liberté, son progrès matériel, il foulait tout cela aux pieds. Les philanthropes comme John Howard, les capitalistes et constructeurs de rail-ways, le cabinet de lord John Russell, tout cela fut confondu dans le même anathème. Il n’y avait qu’un point sur lequel il semblait s’accorder avec l’esprit et les institutions de son pays, c’est le protestantisme. L’agression papale, comme on dit de l’autre côté du détroit, lui a inspiré le dernier et le plus remarquable, à notre avis, de ses huit pamphlets, intitulé Jésuitisme, écrit infiniment curieux et neuf, mais dans la discussion duquel, pour plusieurs raisons que l’on comprendra sans doute, nous ne nous soucions pas d’entrer. Ces pamphlets, accueillis par des clameurs lors de leur première apparition, ont eu la fortune de tous les écrits de Carlyle. Deux ans se sont passés, et leur mérite peut frapper maintenant tous les yeux. La plupart de leurs prédictions se sont réalisées; il avait frappé juste, quoiqu’il eût frappé trop fort et avec toute la colère dont l’Europe a été saisie dans les

  1. Voyez la livraison du 15 juin 1850.