Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’assimilation qui lui est propre, et qui est très pratique et très anglais. Il a transformé chaque syllogisme en fait et l’a justifié par l’histoire contemporaine, de sorte que nous sommes étonnés et ravis en voyant que toutes les entités métaphysiques, qui nous paraissaient des abstractions, marchent, parlent, sont capables de bien et de mal. Toutes les doctrines de la philosophie allemande se trouvent dans les écrits de Carlyle, mais il faut décomposer ces écrits pour les y trouver et les soumettre à une analyse pour ainsi dire chimique; elles circulent dans toutes ses pages, mais comme les élémens chimiques, le fer, la soude et les sels, circulent dans le sang qui gonfle notre cœur et dans les larmes que nous arrache la tendresse ou la douleur.

C’est sans doute à l’occasion de la Vie de Schiller que commencèrent les rapports de Carlyle avec Goethe, rapports qui furent fréquens et nombreux. Nous le voyons, dans ses lettres à Goethe, remis de toutes les maladies morales de l’époque dont il s’est plaint si éloquemment dans le Sartor resartus, car lui aussi, l’ennemi déclaré de la sentimentalité, a eu, paraît-il, sa période de désolation et de gémissemens, de byronisme et de werthérisme, comme tout le monde dans notre temps. Dans une de ces lettres, datée de 1826, il est évident que la crise, si elle a jamais été bien forte (ce qu’il nous est difficile de croire), est complètement passée, et que Carlyle avait mis à profit cette recommandation qu’il se donne à lui-même : « Ferme ton Byron, ouvre ton Goethe. » Déjà marié à cette époque, il décrit le petit coin de terre où il vit en Écosse, son pays natal, avec sa compagne, et le sentiment du bonheur domestique se mêle à cette description locale : « Ici, écrit-il à Goethe, non sans efforts, nous nous sommes bâti et monté une maison propre et substantielle; ici, en l’absence de tout emploi et de tout service professionnel, nous vivons cultivant la littérature avec diligence et selon notre méthode particulière. Nous souhaitons une joyeuse croissance aux roses et aux fleurs de notre jardin, et nous espérons que la santé et que les pensées paisibles viendront en aide à nos espérances. Les roses ont encore besoin d’être plantées en partie, mais elles fleurissent déjà dans notre esprit par anticipation. Ici, Rousseau aurait été aussi heureux que dans son île de Saint-Pierre. » Là, il vécut au sein de la solitude, continuant à habiter parmi les lieux où s’était écoulée son enfance, et amassant lentement, concentrant en lui les pensées qu’il allait laisser couler de son esprit sans interruption pendant les vingt années suivantes. Il n’a vu Londres que vers sa vingt-huitième ou sa trentième année. Son premier séjour dans cette ville date de 1826 : il n’y resta que peu de temps et revint dans sa chère Écosse, qu’il quitta à peu près définitivement vers 1830, quand son nom commença à jeter de l’éclat.

C’est dans sa solitude de l’Écosse qu’ont été écrits ses premiers et