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obstacles, toutes ces qualités et ces vertus de la race rustique sont écrites sur ce visage sérieux, sévère, un peu dur. J’ai vu il y a quelques années déjà un portrait de Carlyle plus jeune : les mêmes qualités y étaient empreintes ; seulement, la jeunesse, l’éducation, la culture intellectuelle, donnaient à ces traits une apparence plus mondaine en quelque sorte ; le gentleman y recouvrait la race et le sang. Mais, chose bizarre, à mesure que les années se sont écoulées, le caractère rustique a reparu et efface à son tour toutes les qualités acquises. C’est un phénomène que chacun a pu observer plus d’une fois, et qui trouve ici une nouvelle confirmation.

Outre cette éducation première, la plus importante de toutes, Carlyle en reçut une autre à Annan, et là il eut pour camarade de classe Édouard Irving, qui, plus tard, devenu célèbre par son éloquence sous le titre du révérend Édouard Irving, devait être regretté publiquement par son vieux compagnon Carlyle en termes pénétrans et d’une chaleureuse affection. Là il reçut les premiers élémens d’une éducation classique. À son grand ennui, s’il faut en croire son pseudonyme Herr Teufelsdrök, il dut apprendre les déclinaisons, les conjugaisons, et se démêler avec les syntaxes grecque ou latine. Cependant l’ambition paternelle, bien conseillée cette fois, et probablement par les indices d’intelligence que donnait le jeune homme, lui fit prendre la route de l’université d’Édimbourg, où il séjourna deux ans, tout en retournant chez son père passer le temps des vacances, jouir de nouveau des lieux qui lui étaient chers, et chercher à retrouver ses vieux souvenirs et les impressions de l’enfance. La tournure de son esprit était dès-lors à la fois spéculative et poétique ; il s’attachait avec ardeur à l’étude des mathématiques, mais tout en commençant à s’inquiéter des arcanes de Faust et de Wilhelm Meister, et en s’appliquant à les pénétrer. Un fait qui peint bien cette tournure d’esprit, c’est que, quelques années après sa sortie de l’université, il fit paraître coup sur coup une traduction de la Géométrie de Legendre, suivie d’un Traité des proportions, et une traduction du Wilhelm Meister de Goethe. Au sortir de l’université, il paraît avoir balancé quelque temps pour le choix d’une profession. D’abord il eut l’intention d’entrer dans l’église ; mais des craintes qu’il est facile de comprendre le détournèrent de ce projet. Sa grande franchise de caractère et sa liberté d’esprit plus grande encore, s’il est possible, lui firent redouter, selon toute probabilité, d’avoir à enseigner certaines choses dont il ne serait pas convaincu, et d’être obligé de faire des transactions trop fréquentes avec sa profession. Il abandonna donc ce dessein, et, en attendant qu’il eût fait choix d’une carrière, il enseigna les mathématiques dans son pays. Ce professorat provisoire dura environ deux ans.

C’est vers 1823, c’est-à-dire par conséquent vers sa vingt-septième