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vont-elles me le rendre ? Oh ! pourquoi lui ai-je laissé perdre tant d’années dans les frivoles amusemens des lettres, parmi les rhéteurs et les sophistes ? Il serait peut-être à cette heure arrivé assez haut pour consoler son père d’être tombé si bas.

Capito, accoutumé à être interrompu dans son débit oratoire, n’avait ressenti nul dépit de l’allocution de son frère ; d’ailleurs il ressentait pour Macer un respect mêlé de crainte. Il se contenta donc de se mordre les lèvres comme pour en arrêter le mouvement, et il reprit intérieurement ce discours, pour lequel, même en gardant le silence, il était sûr de trouver en lui un auditeur qu’il ne lassait jamais.

Cependant, quelque absorbé qu’il fût par cette occupation chérie, un mouvement de surprise qui eût été facilement de l’humeur s’éleva en lui, en entendant Macer regretter le temps que son fils avait donné aux lettres et à la rhétorique. Capito s’écria avec surprise : — Très honoré frère, comment peux-tu parler ainsi ? Es-tu donc ennemi de Minerve, comme le fils d’Oïlée ? Oserais-tu manquer de respect aux Muses comme les filles de Piérius ? Cicéron n’a-t-il pas écrit divinement : « Les lettres nous accompagnent dans la prospérité, nous consolent dans l’infortune ; elles vont avec nous aux champs, à la guerre, elles charment nos journées et nos veilles ? » En outre, les lettres en ce siècle ne conduisent-elles pas leur nourrisson à tous les honneurs ? N’ont-elles pas dans leurs mains les trésors de Plutus, les palmes de la gloire, la corne d’abondance ravie par elles à la chèvre Amalthée ? Les bancs de l’école ne sont-ils pas devenus les bancs du sénat ? La chaire du professeur n’est-elle pas devenue la chaire curule du consul ? que dis-je ? dieux immortels ! bien plus encore, le trône de la puissance impériale ? N’était-ce pas un rhéteur que cet illustre empereur Eugène auquel, si son règne eût duré seulement six mois, je comptais adresser ces paroles qui terminaient noblement mon discours : Éternelle majesté ?…

Macer, menacé de nouveau de ce panégyrique, qui méritait beaucoup mieux que la majesté éphémère d’Eugène le nom d’éternel, et s’efforçant d’échapper à son frère par un éloge, lui dit : — Combien il est à déplorer que tu n’aies pas eu le temps d’achever ton ouvrage avant que ce véritable Romain, avant que cet ennemi des superstitions nouvelles, ajouta-t-il en baissant la voix et en regardant par habitude autour de lui avec défiance, quoique nul étranger ne pût l’entendre, — avant que ce prince bien intentionné pour l’antique religion et l’ancienne patrie romaine eût été renversé par un Franc perfide ? Mais qu’attendre du sang barbare ? Oh ! quand la dernière goutte de ce sang aura-t-elle coulé sur l’arène de nos cirques ? Quand aura-t-elle été bue par les tigres et les lions de nos amphithéâtres ?

À ce moment parut sur un cheval blanc, portant une housse