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une émeute, — émeute littéraire, hier entendu, faute d’autre, émeute du feuilleton qui aura été provoquée, par quelque mot imprudent ! C’en est fait, la guerre est déclarée, et nous sommes menacés encore d’une tempête dans un verre d’eau. Maintenant, est-ce donc là aujourd’hui toute la nouveauté ? Ce serait pourtant bien le moment pour l’intelligence, pour la littérature, de se remettre à l’œuvre, de reprendre quelque vigueur, de se relever par un courageux effort. La politique ne lui dispute plus l’attention ; les discussions parlementaires n’étouffent plus sa voix ; le drame de la rue ne fait plus pâlir le drame du théâtre. La presse peut donner asile aux œuvres sérieuses et méditées ; l’instant est opportun. Or, voici tout ce que nous pouvons trouver pour rendre à la France le charme de ses plaisirs intellectuels : une course au clocher du bon marché et un regain du roman-feuilleton ! M. Alexandre Dumas va découvrir les catacombes de Rome ! Et nous disons que nous sommes un peuple lettré ! Nous le sommes bien en effet ; nous avons mis de la littérature un peu partout, même dans notre politique ; seulement nous l’y avons laissée ; elle est là sous les décombres : comment, à travers ces ruines intellectuelles amoncelées, se dégagera la fleur nouvelle de l’inspiration rajeunie ?

Quand nous montrons cette stagnation en politique, en littérature, parmi nous, il n’y a rien là qui soit particulier à la France. Etendez votre regard, franchissez les frontières, partout les mêmes symptômes éclatent : la passion des peuples s’émousse, les gouvernemens retrouvent leur ascendant. Nul événement grave ne vient troubler cette uniformité. Les grandes questions du moins semblent épuisées, et là même où les passions révolutionnaires sont loin d’être éteintes, elles sentent peser sur elles le poids d’une compression dont on peut secrètement gémir parfois, dont on ne songe point à médire. L’Europe se ressent donc aussi dans sa vie politique des agitations qu’elle a eu à traverser, et la saison n’est point faite pour réveiller l’animation et multiplier les incidens. Il y a plus de bruits et de rumeurs que d’évènemens, plus d’échanges de courriers et de notes diplomatiques que de grandes péripéties. En Belgique, après la solution des difficultés soulevées par la négociation des récens arrangemens commerciaux, il restait à dénouer la crise ministérielle. Elle n’est point dénouée encore aujourd’hui. Il se passe même à cette occasion une scène assez étrange vraiment. On a vu quel rôle singulier s’est attribué M. Frère-Orban dans toute cette affaire ; il s’est tenu à l’écart des négociations avec la France et les a même blâmées. La démission qu’il avait donnée, il n’entend point la retirer, et alors la chose vous semblerait bien facile sans doute. Mais c’est ici que commence la complication bizarre : M. Frère-Orban n’entend pas davantage que ses collègues retirent leur démission, s’ils en ont envie ; il prétend leur imposer la retraite, à quoi plus d’un n’est pas prêt à souscrire de bonne grace, surtout après le très sérieux résultat obtenu par la convention de commerce avec la France, Au reste, de quelque manière que se dénoue cette crise, il ne semble guère probable qu’un ministère se constitue dans des conditions définitives et assurées avant que l’esprit des chambres nouvelles ; se soit manifesté sur quelques-uns des points les plus importans de la politique actuelle.

La Belgique a eu la bonne fortune d’échapper aux tourmentes récentes, de l’Europe, et n’a point trop à en supporter les conséquences. Il n’en est pas