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sont de véritables fermes, avec des bâtimens complets d’exploitation, ont été bâties dans la même province ; ces constructions ont appelé au milieu des tribus un grand nombre d’ouvriers européens, qui tous ont été bien nourris, bien payés, et qui n’ont eu à souffrir aucune violence. Associés aujourd’hui, dans une certaine mesure, aux travaux de la colonisation, les Arabes se sont associés également à nos armes et à notre police. Outre les goum, qui forment temporairement et à titre d’auxiliaires le contingent des tribus soumises, l’armée d’Afrique compte dans des corps spéciaux environ six mille soldats indigènes d’une bravoure éprouvée, et qui ont donné dans maintes circonstances difficiles de grandes preuves d’intelligence et de dévouement. Les habitudes de la vie civilisée tendent de plus en plus d’ailleurs à pénétrer chez les Arabes. Un grand nombre d’indigènes font aujourd’hui constater leurs transactions chez les notaires. La tenue régulière des registres de l’état civil est organisée dans les tribus, et, dans la seule subdivision d’Oran, seize cents enfans ont été vaccinés dans l’espace de quelques mois.

On le voit : pour le soldat qui cherche la gloire, l’administrateur qui veut organiser, le prêtre qui se dévoue, le travailleur qui demande une terre féconde, l’Algérie offre un champ immense, et elle appelle en quelque sorte tous les dévouemens. Elle appelle aussi les hommes patiens, curieux, qu’attirent les mystères de l’histoire et l’inconnu du passé ; car, sous sa couronne d’épis et d’oliviers comme sous les sables de ses plaines brûlantes ou les palmiers de ses oasis, elle cache les vestiges sans nombre de deux grandes civilisations, la civilisation punique et la civilisation romaine, et, de ce côté, l’Algérie a été féconde encore. Elle a ouvert pour l’histoire et l’archéologie des horizons nouveaux, et le cercle s’en est d’autant plus élargi qu’elle était restée jusqu’à ce jour inaccessible à la science. Nous avons aujourd’hui toute une école d’archéologie africaine, l’une punique, l’autre romaine, moitié civile, moitié militaire, comme l’administration elle-même, et qui s’est recrutée dans tous les rangs de l’armée, depuis le soldat jusqu’au général. Cette école, où chacun, à défaut d’une science toujours suffisante, a du moins fait preuve de zèle et même d’une sorte de passion, cette école, disons-nous, a obtenu déjà des résultats très importans. Grace aux explorations actives qui ont été faites sur tous les points, l’Afrique nous a donné dans ces derniers temps un assez grand nombre de monumens puniques, inscriptions ou figures, qui peuvent aider à pénétrer plus avant dans l’étude de la langue et de la symbolique carthaginoises, et qui sont d’autant plus précieuses, que, tout progrès de ce côté étant pour ainsi dire impossible à cause de l’extrême rareté des monumens, les érudits les plus pénétrans se trouvent réduits, faute de documens, aux conjectures. Les travaux de l’Allemand Génésius, les études de M. de Saulcy, les curieux débris recueillis par M. le commandant de La Mare et M. le docteur Judas, la découverte faite à Cherchell par M. Texier de la statue du dieu Aschmou, ont éclairé d’une lumière nouvelle cette partie ténébreuse de l’antiquité, et cette fois encore, comme en Égypte, la conquête a fait parler les sphinx. Cette langue punique que Rome avait respectée sur les ruines même de Carthage, cette langue dans laquelle saint Augustin annonçait aux fidèles du diocèse d’Hippone les vérités de l’Évangile, lettre morte pendant de longs siècles, laisse aujourd’hui, comme les hiéroglyphes, échapper ses mystères. Quant