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à la fois, qui s’étend sur un territoire de près de 390,900 kilomètres carrés, ce qui équivaut aux quatre cinquièmes environ de la superficie de la France. Dans les premiers momens de la conquête, on expulsa tous les Turcs, que l’on regardait comme solidaires du gouvernement renversé par nos armes ; mais, par cette mesure, on décapita d’un seul coup toute la hiérarchie sociale et administrative du pays, parce que les Turcs, race énergique et riche, occupaient toutes les grandes positions. On leur donna, dans les fonctions publiques, des Maures pour successeurs ; mais les Maures, ignorans et cupides, avaient tous les défauts des Turcs sans avoir aucune de leurs qualités, et il fallut encore une fois essayer d’un nouveau système. Des officiers français furent chargés, avec le titre d’agha, des affaires arabes ; mais cette administration, qui fonctionnait sans intermédiaire dans un pays frémissant et hostile, dans un pays dont on ne connaissait pas les mœurs, dont on connaissait à peine la langue, cette administration fut dès l’abord frappée d’impuissance, et il fallut encore chercher un mode nouveau. Enfin, après bien des essais, on reconnut que ce qui convenait à la France aussi bien qu’à la population indigène, c’était une administration arabe dirigée par des Français, administration dont le but était surtout d’amener les tribus, par le sentiment même de leurs intérêts, à se rallier à la France, et qui, par l’organisation des bureaux arabes, fut définitivement constituée dans toute l’étendue de la régence à la fin de 1844.

Aujourd’hui, sur les 1,145 tribus dont se compose la population indigène, et qui représentent un total de trois millions d’habitans, 897 relèvent directement de l’autorité française, 160 sont encore administrées par délégation, et 88 seulement restent insoumises.

Ici se présente une importante question ethnographique. Quelle est l’origine de ces tribus, de ces nomades, que l’on retrouve, long-temps avant l’ère chrétienne, désignés sous le nom presque identique de Numidi ou Nomadi, ou de ces Maures qui, dans l’antiquité, donnèrent leur nom à une partie de notre colonie africaine ? L’historien Salluste offre sur ce point de curieux détails. Salluste, on le sait, avait gouverné l’Afrique, et pendant son séjour il fit traduire de la langue punique les livres d’Hiempsal, roi de Numidie. Il consulta toutes les traditions locales, et ces traditions lui apprirent que les Maures et les Numides, les deux peuples les plus puissans de cette partie du monde ancien, devaient leur origine à des Arméniens, à des Perses et à des Mèdes, amenés autrefois par Hercule à l’extrémité occidentale de l’Europe, c’est-à-dire en Espagne, et qui, après la mort de leur chef, avaient passé la mer pour se fixer en Afrique. Le récit de Salluste est net et précis ; ses assertions, à cet égard, sont confirmées par d’autres écrivains de l’antiquité, tels que Strabon. Seulement le nom d’Hercule, jeté au milieu de son récit, lui donne une teinte fabuleuse, et cependant, quand on a réduit à des proportions humaines ce gigantesque dieu de la force, quand on a écarté toute la partie légendaire, on peut penser, avec une grande apparence de raison, que le conquérant désigné par Salluste sous le nom d’Hercule n’était autre que l’un de ces rois assyriens qui ont possédé avant Cyrus l’empire de l’Asie. Cette conjecture, mise en avant pour la première fois par un membre de l’Académie des inscriptions, Saint-Martin, acquiert un nouveau degré de probabilité