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solennellement que la France avait l’inébranlable volonté de garder sa conquête. Ces paroles, qui intéressaient l’orgueil national, trouvèrent de l’écho. On ne s’inquiéta point de savoir comment on conserverait ce que l’on était loin de posséder encore. La question d’abandon écartée sans retour, on se trouva de nouveau aux prises avec deux systèmes opposés qui consistaient, l’un à soumettre et à occuper tout le territoire de l’ancienne régence, l’autre à n’en occuper que les points principaux, en laissant le temps et les intérêts de la politique et du commerce resserrer les relations de la France et des indigènes. Ce dernier système prévalut un instant dans l’opinion des chambres et du pays, et le traité de la Tafna, conclu en 1837, en fut la consécration. L’expérience démontra bientôt qu’on avait fait fausse route ; bien que ce traité n’eût point consacré, comme on l’a dit tant de fois, la souveraineté d’Abd-el Kader, ses résultats n’en furent pas moins désastreux. On avait cru s’assurer un allié et presque un vassal, on n’avait fait que donner à un ennemi le prestige d’une investiture éclatante ; on cherchait la paix, on trouva la guerre. Ce cruel mécompte, ajouté à tant d’autres ; produisit en France et en Afrique un découragement profond. On s’attristait en comparant aux résultats l’immensité des sacrifices, et le général Duvivier disait avec amertume, en parlant des cimetières, des troupes, que c’étaient là les seules colonies toujours croissantes de l’Algérie. Heureusement le soldat illustre qui avait signé le traité ne tarda point à réparer par la victoire une erreur inévitable et pour ainsi dire fatale. Après dix ans de luttes incessantes, l’Algérie fut enfin domptée. Vers 1842, la question si long-temps débattue de l’occupation générale ou restreinte était résolue sans retour, et, comme le dit M. le général Daumas, « la France s’était ralliée à cette opinion, que nous devions être partout en Algérie, sous peine de n’être en sécurité nulle part. »

L’occupation étendue de toute l’ancienne régence était d’ailleurs indiquée par ce que l’on pourrait appeler la logique même du terrain et l’autorité des souvenirs. En effet, sous le rapport de la fertilité, de la richesse du sol, la province de Constantine laisse bien loin derrière elle le reste du territoire algérien ; et l’histoire fournit encore à ce sujet d’utiles indications. Sous les Romains, la province d’Alger, qui réponde à l’ancienne Mauritanie césarienne, était gouvernée par un simple procurateur ; le Maroc, la Mauritanie tingitane, dépendait de l’Espagne, tandis que la province de Constantine, qui constituait avec Tunis l’Afrique proconsulaire, la Numidie, était administrée par un légat impérial, Rome réglant toujours la dignité de ses agens sur l’importance de ses conquêtes. Or pour l’empire, la Numidie était avec l’Asie Mineure la plus précieuse de ses provinces, parce que la Numidie lui fournissait tout la blé qui nourrissait Rome, quand Rome, avait deux millions d’habitans. Avant que la guerre et l’expérience eussent prononcé, il eût suffi, pour ainsi dire, de suivre la trace des ruines pour décider la question de l’occupation ; car toutes les contrées fertiles sont jalonnées par des débris, et ces débris sont d’autant plus nombreux, que l’on s’éloigne davantage pour s’avancer vers Tunis. Aujourd’hui, comme les Romains, nous sommes partout ; nous occupons comme eux les côtes et les pentes de l’Atlas, la Mauritanie césarienne et la Numidie. Quoique soumise encore à un régime exceptionnel, l’ancienne régence n’est plus qu’une vaste annexe de la France. Pour arriver à la