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ne donne qu’une utopie savante, pleine de verve et complètement impossible. M. Czynski se lance bien plus loin encore dans la région du chimérique, en proposant la colonisation d’après le système de Fourier. Enfin la révolution de 1848 donna un nouvel essor à la polémique coloniale, et l’on voit paraître dans les premiers mois qui suivent cette révolution une douzaine de brochures, où domine surtout cette pensée, que l’Algérie doit servir à supprimer en France le prolétariat. La plupart des écrivains qui ont pris pari aux discussions dont nous venons de parler ont apporté dans leurs livres une ardeur singulière, surtout en ce qui touche la question de prééminence entre le gouvernement civil et le gouvernement militaire, et ce seul point suffirait à montrer combien en France les hommes les mieux intentionnés ont souvent de peine à s’entendre ; et surtout combien ils ont de peine à garder une juste mesure envers ceux qui ne partagent point leurs idées. Du reste, en cherchant par les voies les plus diverses le meilleur système d’occupation, abstraction faite la plupart du temps de l’expérience, les écrivains qui se sont mêlés à cette polémique se sont presque tous montrés favorables à la prise de possession définitive, et le delenda Carthago de M. Desjobert, l’adversaire le plus obstiné de l’Algérie, a fait un nom à ses brochures ou à ses discours sans rallier le public à ses idées, malgré l’ardeur avec laquelle il a cherché à les faire prévaloir.

Cette face de la bibliographie algérienne est de beaucoup la moins intéressante, et on a eu trop souvent ici même à s’occuper des questions traitées dans ces écrits de circonstance pour qu’il y ait profit à s’y arrêter. Notre but serait surtout de faire connaître où en sont arrivées la statistique et l’archéologie algérienne. À côté de publications qu’est venu atteindre ou que, menace un légitime oubli, il en est d’autres qui se rattachent d’une manière plus intime et plus durable à l’histoire même de notre établissement, et, dans le nombre, nous mentionnerons au premier rang les travaux de MM. Baude et Buret, dans lesquels se trouvent exposées les questions les plus importantes qui se rattachent à l’origine, à l’existence et à la vitalité de la colonie. Il y a là pour l’histoire de notre établissement un curieux point de départ, et en quelque sorte la première division d’une bibliothèque algérienne. Grace aux études d’une foule d’hommes dévoués, dont la plupart ont rempli dans la colonie des fonctions civiles ou militaires, cette bibliothèque est aujourd’hui considérable. La géographie de l’Afrique, jusqu’à ce jour si peu connue, a fait depuis vingt ans d’immenses progrès ; le Sahara de M. le général Daumas, les Études sur la Kabylie de M. le capitaine Carette, les belles cartes de ce savant officier, les importans travaux topographiques exécutés sous la direction de M. le général Pelet au dépôt de la guerre, la carte récemment publiée dans le Tableau de la situation des établissemens français, ont complètement modifié, en les rectifiant, les données que la science avait possédées jusqu’ici sur cette région de l’Afrique septentrionale. Les études de MM. de Neveu et Richard sur les institutions, les mœurs et la civilisation des Arabes, les travaux de M. Perron sur la législation musulmane, les explorations de M. Berbrugger, les récits mêmes de quelques soldats que les hasards de la guerre avaient jetés au milieu des indigènes, nous ont fait pénétrer pour la première fois dans la vie intime de ces populations