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ressources et d’organisation sociale, où l’avantage est tout entier, de notre côté ; mais ce que l’on : ne saurait contester, c’est que la France n’ait donné d’abord par les croisades le signal des expéditions lointaines, que la première ; elle n’ait entraîné l’Europe en Orient, et que, dans les découvertes géographiques, elle n’ait devancé les autres peuples de près de deux siècles, en agissant par ses propres enfans ou en favorisant les tentatives des étrangers méconnus ou repoussés dans leur propre pays. Dès 1365, les Dieppois forment des établissemens importans au Sénégal et dans la Guinée ; en 1400, Jean de Bethencourt aborde aux Canaries ; Charles VIII, en 1491, appelle Christophe Colomb ; enfin le XVIe siècle tout entier est marqué d’abord par des tentatives, commerciales dans les Indes, puis par la découverte du Canada, la prise de possession de Terre-Neuve au nom du roi de France, la fondation d’établissemens importans au Cap-Breton, à Rio-Janeiro, etc. Le cardinal d’Amboise, François Ier, Sully, Richelieu, Colbert, Vergennes, Turgot, tous les grands ministres, tous les grands rois, tous les gouvernemens, la monarchie, la république, l’empire, ont compris l’importance des colonies et en ont favorisé le développement. On n’a qu’à se rappeler ce que furent la Martinique, Saint-Domingue et la Guadeloupe, sous l’administration du duc de Choiseul, ce que l’illustre et malheureux Labourdonnais a fait dans les îles de France et de Bourbon ; on n’a qu’à se rappeler que la compagnie des Indes sous l’administration de Dupleix possédait 17 vaisseaux de ligne, 25 frégates et 750 navires.

Partout où la France a passé, on peut aujourd’hui même, après de longues années, constater, par la sympathie des souvenirs, combler sa domination a été bienfaisante et civilisatrice. Au lieu d’empoisonner avec l’eau-de-vie et de traquer comme des bêtes fauves les populations sauvages, elle les a converties au christianisme, et si elle a dû quelquefois user d’inévitables rigueurs, elle n’en a pas moins su se faire aimer, et surtout regretter par la comparaison des nouveaux maîtres. Le nom français est, encore respecté dans l’Inde, comme les noms de saint Louis, de Bonaparte et de Kléber le sont en Syrie et en Égypte. Si nous avons perdu nos colonies, ce n’est pas, comme on l’a dit, par suite de notre imprévoyance ou par défaut d’aptitude et de soins, mais par suite de guerres terribles, où, la plupart du temps, nous avons été seuls contre tous, et nos désastres dans nos possessions d’outre-mer n’ont presque toujours été que la conséquence fatale de nos embarras sur le continent. Nous les avons perdues surtout parce que nous ne nous sommes point obstinés à les garder, et que l’opinion publique, distraite par des préoccupations souvent futiles, les avait délaissées long-temps avant l’abandon définitif. Une grande et décisive épreuve a été d’ailleurs tentée de notre temps même au milieu d’une paix générale, et l’Algérie, est là pour répondre à ceux qui accusent la France de ne savoir pas coloniser.

Une sorte de fatalité mystérieuse, ou plutôt le doigt même de la Providence nous indiquait depuis long-temps l’Afrique comme une terre promise à notre civilisation. Déjà au moyen-âge l’idée se fait jour dans les romans du cycle de Charlemagne, et le plus grand projet que l’on puisse prêter au grand empereur, c’est de rêver la conquête du pays des Sarrasins. Bien des siècles après, Charlemagne, quand Louis XIV, dans les premiers enivremens