Tout œil amoureux qui l’advise
Rit de joie et chante à part soy :
J’ai pris Amours à ma devise.
Roger de Collerye oublia trop souvent ces gracieux exemples. Son amour se déroule en ballades ; épîtres et rondeaux, qui trahissent ses efforts contre son genre naturel et nous expliquent avec quelle autorité la fadeur va s’imposer aux littérateurs à venir. Pourtant il se garde bien de dévaliser l’arsenal mythologique ; son cœur est trop touché pour perdre temps à étudier une rhétorique nouvelle.
Néanmoins, vray comme la messe,
Bien souvent, au lieu de filer,
De mes yeux larmes sans cesse
Tombent, coulent en grant tristesse,
Et regrets les font distiller.
C’est ainsi qu’il fait parler sa maîtresse, et il y a là une simple et pénétrante mélancolie que Villon et Ruteboeuf peut-être avaient seuls comme avant la résistance.
Son cœur s’élevait avec ces nobles et gentilles amours, il lui fallait quelque nouvelle gloire de Gilleberte. Marot était alors la splendeur poétique du royaume de France ; il était le favori de cet amour qui « couvre sous ses aises le cœur des damoyselles, » il avait une maîtresse « de la ligne des dieux. » C’était le grand écrivain de la cour, et il était de la race des vieux poètes français : aussi Collerye allait vers lui d’instinct. C’était aussi une gloire que d’être connu et enregistré par un tel écrivain, l’astre qui attirait les yeux de toutes les illustrations provinciales. Collerye envoya donc une épître à Marot pour le congratuler sur une ballade « trop plus que rose en doulceur rédolente. » Il n’était pas un homme obscur, et Marot lui répondit en lui envoyant son Epistre au roy pour avoir été volé. Ce fut une grande joie dans le cercle littéraire d’Auxerre, messire Fichet se dit de plus en plus le disciple et escolier d’un homme si honoré, et Gilleberte fit un gracieux accueil à cette gloire nouvelle. Un commerce littéraire s’établit entre Marot et Roger. Collerye félicitait Marot sur ses œuvre « à peu près déificqués, » et surtout sur ce que « le roy ne manque à bien remplir la bource. » Cette dernière pensée resta long-temps dans l’esprit du poçète d’Auxerre, et ce fut son malheur. Pourquoi lui aussi n’irait-il pas auprès de ce prince si généreux, dans « la cité de grand renom ? » Peut-être un jour la gloire lui souriait comme au poète de Cahors, et Gilleberte aurait de bien plus douces caresses pour le valet de chambre du roi que pour le secrétaire de l’évêque d’Auxerre ?
Roger de Collerye partit pour Paris. Il y trouva la foule joviale des basochiens, clercs du Châtelet, enfans sans soucis, tous ces joyeux pauvres qui traînaient la misère par les cheveux dans les farces, les jeux et sotties. Roger les reconnut bien : ils lui avaient offert jadis toutes leurs folies, leurs gros rires, leur seule fortune, pour le payer de ses contes et de ses joyeux mots ; mais ce n’était plus la gaieté qu’il lui fallait : il avait été mordu par l’ambition, il voulait la gloire, la fortune, et c’était à la cour du grand roi François