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J’en ai conclu que povre infortuné
Est bien souvent de son esprit séduit
Et de malheur par trop importuné.

Il lui échappe bien, comme on voit, quelques plaintes, mais tout cela est leste ; il nargue la pauvreté, et ces condoléances ont toujours un écho jovial. Il lui reste toujours la gaieté, coquette amie qui se cache un instant derrière quelque noir fantôme, l’hôte habituel des murs froids et des estomacs vides ; mais elle pose bientôt sa gentille tête sur les épaules du méchant compagnon ; avec ses yeux malins et son franc sourire, elle se moque de la peur qu’elle a faite au poète son camarade. Il lui faut rire alors, et rire encore, et la bonne fée de sa froide chambre le force de chanter avec elle :

Des enfants de Tuteluton
Je suis, malheureux de nature
Qui cherche sa bonne aventure
Ainsy qu’un povre valeton ;
J’ay pour mon appuy un baston
Et le ciel pour ma couverture ;

Simple je suys comme un mouton
Qui cherche en un pré sa pâture,
Et je n’ay pour toute vesture
Qu’un méchant petit hocqueton
Des enfants de Tuteluton.

Roger de Collerye n’est pas exactement pourtant le bohème du moyen-âge ; c’est le bohème du XVIe siècle. L’école littéraire à laquelle il appartient, quoiqu’elle soit surtout la queue du moyen-âge, que toutes ses inspirations, — son génie, sa manière, — sortent de l’école trouvère, touche pourtant à la renaissance, et s’est laissé quelque peu envahir par le nouvel esprit. Roger de Collerye est comme son école. Il est bien le disciple des trouvères, il possède leur simplicité de cœur, et leur naturel naïf : il n’a ni fausse gravité dans sa misère ni la pleurnicherie et les haillons de théâtre des bohèmes d’aujourd’hui ; mais ce n’est pas exactement le bohème du moyen-âge. Au XVIe siècle, hélas ! le temps n’est plus aux courses aventureuses, la littérature meurt de faim sur les grandes routes. Elle n’a plus besoin de voyager pour s’instruire, elle a les livres ; elle est devenue sédentaire et savante. Tout court au centre, et la littérature cherche à s’introduire à la place du bouffon dans les cours des rois et des grands seigneurs. Il faut que le pauvre Collerye reste dans son réduit en quêtant une place, et son jovial esprit voyage à travers les sentiers de la littérature naïve, comme ses ancêtres les trouvères à travers les routes de la vieille Flandre et de la bonne Picardie ; mais il a été mordu au cœur par l’amour moderne. Comme la mélancolie est entrée dans l’ame de Villon, l’amour moderne, avec ses langueurs, s’introduira dans le cœur de Collerye. Il n’y restera pas long-temps toutefois, et le bohême du XVIe siècle rentre bien vite dans la tradition trouvère au sujet des femmes.

Chose étrange du reste, Roger de Collerye, ce poète ignoré dont les œuvres