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à toute son école, ont disparu après lui de la littérature française, et il a paru représenter exclusivement ces qualités, parce qu’il est le seul des poètes de ce cycle dont le langage ait été facilement appréciable par la postérité.

Guillaume Coquillart, official de Reims, homme important dans la cité et magistrat honoré, n’est pas un de ces esprits aventureux, une de ces natures indociles qui se sont rangés sous la bannière littéraire du moyen-âge, parce qu’elle protégeait l’indépendance ; c’est pourtant le plus brutal et le plus matériel des écrivains de cette époque. — Il est, non plus comme Gringore, le poète de la bourgeoisie, il est le bourgeois poète ; il est resté dans la cité où il représente une autre classe de la bourgeoisie, non pas les bonnes gens de la marchandise, mais la bourgeoisie lettrée, l’aristocratie municipale, et la comparaison de sa vie avec ses écrits nous montre le résultat singulier où devait arriver tout esprit supérieur sous l’influence combinée de la vie domestique et des événemens politiques du XVe siècle. En face de la bourgeoisie flamande, incarnée dans Jean Molinet, il représente la bourgeoisie champenoise, comme Gringore la bourgeoisie normande, et ces trois poètes nous enseignent par leur comparaison les divers élémens provinciaux qui se sont successivement introduits dans le génie français primitivement limité à l’Ile-de-France. Coquillart avait été amené dans l’école trouvère, non-seulement par un amour effréné de la réalité, par un esprit malin et sarcastique, mais surtout par le mépris de la femme, qui est un des côtés curieux de cette école.

Quant à. Roger de Collerye, c’est lui qui représente complètement la lutte morale et littéraire contre la renaissance : c’est dans sa vie et dans ses écrits qu’il faut chercher, cette étude le prouvera peut-être, l’expression la plus exacte de la position de l’école bourgeoise à la fin du moyen-âge.

Après ces individualités remarquables vient la foule des disciples, les auteurs des petites pièces de genre, les prédicateurs populaires, les acteurs des farces et sotties, et les conteurs. Les pièces de genre, satiriques et joviales, brutales et naïves, sont nombreuses à la fin du XVe siècle ; elles continuent avec une ardeur sans pareille cet étrange combat contre l’influence féminine, commencé par le Roman de la Rose et continué consciencieusement par Mathéolus. Les prédicateurs populaires, qui se résument en deux noms glorieux à cette époque, Olivier Maillard et Michel Menot, entraînés par la tendance de leur esprit et inspirés par la nature de leurs auditeurs, mettent au jour les plus fortes qualités de l’esprit trouvère. Les acteurs des pièces de théâtre semblent hésiter entre les deux écoles distinctes qui occupent la littérature les compositeurs de farces et sotties, J. du Pont-Allais, Jehan d’Abondance et les autres, restent attachés aux vieilles méthodes ; les faiseurs de mystères et de moralités inclinent vers l’école savante. Enfin les conteurs sont, à la fin du XVe siècle, les disciples exacts de l’ancienne manière des fabliaux, et en somme le conte, les chansons et le théâtre de la foire conserveront toujours des traces, quoique parfois grossières, du vieil esprit français.

Telle était l’école des descendans des trouvères, et à l’époque où ils sont arrivés, au début de la renaissance, nous les voyons occupés à lutter contre ces deux tendances de l’école savante, — régularité, gravité, — dégénérant en imitation servile et en lourdeur pédantesque. Ils luttent surtout avec l’aide de la vieille littérature, où ils trouvent le naturel, l’observation, la réalité ;