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flamande, qui avait reconnu dans ce latin pataud et ventru, si je puis dire, le type excellent de son génie et l’instrument naturel de sa poésie ; l’influence bourguignonne l’avait donc protégé. Telle est l’espèce de latin que l’école savante découpait magistralement.

Dès la fin du XIVe siècle, l’école savante est entrée dans le monde avec une certaine majesté : elle a publié par la voix monotone et magistrale d’Alain Chartier et de Christine de Pisan cet insipide programme de pédantisme métaphorique auquel ses disciples futurs ne changeront pas un seul mot. C’est la première grande révélation qui nous soit faite du résultat où devait arriver la langue française sans cesse en contact avec ce latin barbare des universités ; mixturée avec lui dans le langage usuel des clercs, dans les sermons populaires, les thèses journalières, et jusque dans certaines espèces de fabliaux. Là aussi nous trouvons l’explication de ce malaise, de cette stérilité qu’on remarque dans la littérature française pendant le XIVe siècle : il se faisait dans l’esprit un travail intérieur, et la poésie des troubadours, prenant sur la poésie du Nord sa revanche de la guerre des Albigeois, s’infiltrait dans les veines de l’esprit français, et cherchait à l’amener sans secousse apparente sous le joug du génie latin. Ainsi ces deux influences latines l’une de forme et travaillant sur la langue à l’aide des universités ; l’autre toute spirituelle et s’attaquant à l’essence même du génie national, ces deux influences se dévoilent à la fin du XIVe siècle ; elles apparaissent déjà puissances, presque victorieuses. Ce premier triomphe est toute une révolution l’Alain Chartier et Christine de Pisan semblent avoir deviné qu’il n’y avait pas de véritables progrès à espérer de cette méthode qu’avaient suivie tous les savans du moyen-âge, et qui consistait à recouvrir d’une apparence latine le génie, la langue et les tournures françaises. Ce n’était qu’un empêchement pour le génie français, et le génie antique n’avait à y gagner que quelques mots portant sa livrée. Ils virent qu’il valait mieux faire le contraire recouvrir le génie classique ; les phrases et les métaphores latines de désinences françaises. C’était ainsi substituer le latin au français comme fond de la langue française ; c’était donner l’avenir à ce latin, diriger sur lui l’activité bienfaisante et progressive des évènemens futurs ; c’était sur lui, non plus sur le génie national, qu’allait se porter tout le travail de perfectionnement On voit que c’est la vraie révolution de la littérature française, et c’est cette invention légèrement perfectionnée par l’école savante du XVe siècle qui produisit en grande partie la renaissance.

La science mit donc à profit le règne comparativement paisible du grave roi Charles V pour annoncer qu’elle avait déjà circonvenu de tous côtés le génie national, et que, le trouvant miné de toutes parts, elle pouvait, jetant le masque, lui déclarer guerre ouverte. C’est alors aussi qu’elle venait de découvrir ce nouvel allié qui lui venait non plus du Midi, mais du Nord : l’esprit flamand. L’on comprend sans peine par quels liens cette bourgeoisie flamande, prétentieuse, lourdement magnifique et empesée tenait au génie classique tel qu’il était devenu en passant par les universités du moyen-âge ; mais le moment n’était pas encore venu pour la science de s’organiser définitivement : la royauté avait trop à faire sur les champs de bataille pour la protéger ; le bruit des armes, le pillage, le viol, l’incendie, offraient assez d’attraits aux