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de quinze cents ans. On ne comprend pas comment l’art des Perses : débutant par la noble et fière architecture de Persépolis, a pu, quinze ou dix-huit siècles plus tard, faire surgir tout à coup, d’un seul jet, les belles mosquées émaillées de Sullânièh et d’Ispahan. Dans notre Europe, les variations sont presque insensibles. Les créations de l’art y forment une chaîne que l’on peut suivre d’un anneau à. l’autre, sans interruption, depuis les temples de style grec jusqu’aux édifices qui s’élèvent de nos jours. L’origine de l’art n’a cessé de s’y faire sentir ; elle se retrouve partout ; elle a été modifiée souvent, jamais elle n’a été effacée. En Perse, au contraire, on pourrait, croire qu’un premier peuple, antique possesseur du sol, avait créé les monumens persépolitains puisque dépossédé ou anéanti, il a fait place à un peuple nouveau qui est venu avec sa civilisation, avec ses arts, et les a répandus, sur le sol conquis, sans égard pour ce qui était antérieur. Cet intervalle, immense entre les monumens de Persépolis et ceux d’Ispahan, cette solution de continuité dans la civilisation de la Perse, sont une preuve du degré d’affaiblissement où était tombée la nation à la mort de Darius ; elle semble être restée engourdie jusqu’à ce qu’une foi nouvelle, une religion que le fanatisme rendait vivifiante, fût venue l’électriser et la retremper. Alors il ne fut plus question du passé ; la Perse mahométane eut horreur de la Perse ignicole, et les monumens d’origine guèbre, respectés comme le travail remarquable des ancêtres, n’en furent pas moins honnis comme types exécrés d’une civilisation qui s’appuyait sur un culte abominable. Il fallut tout changer. Tout souvenir des temps antérieurs fut répudié, et à une religion nouvelle il fallut des temples nouveaux. Si les Persans étaient demeurés dans un engourdissement prolongé pendant les siècles qui précédèrent l’islamisme, leur caractère, leur esprit inventif n’avaient point disparu. Au réveil que détermina l’avènement, d’une religion nouvelle, toutes les qualités propres à la nation, se firent jour, mais elles furent appliquées à une civilisation que le temps avait modifiée ; elles transportèrent sur ce nouveau terrain le goût, l’adresse, le luxe de formes et de détails qui ont, à toutes les époques de leur histoire, caractérisé les œuvres des Perses. Alors s’élevèrent, comme par enchantement, les brillantes mosquées aux coupoles émaillées ; alors les hardis et sveltes minarets s’élancèrent dans le ciel pour y porter le plus haut possible les louanges de Dieu et de Mahomet. Les architectes qui en dressèrent les plans, les ouvriers qui les revêtirent de leurs innombrables et élégantes mosaïques, furent aussi habiles que ceux qui avaient conçu et exécuté les palais des rois achéménides. Dans ces nobles mosquées, la foi chiite inspira aux Persans de grandes choses, la science y ouvrit ses écoles, et de ces foyers de l’intelligence sortirent, pour se répandre en Perse, des savans, des poètes, des artistes, des artisans,