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La Perse, avant Cyrus, est tributaire de Ninive. Les Perses, que je confondrai avec les Mèdes, car les deux peuples n’en faisaient qu’un, semblent n’avoir rien gagné à leur contact avec les Assyriens, déjà si avancés, jusqu’au moment où, maîtres de Ninive et de Babylone, ils purent en contempler les monumens et en rapporter les riches dépouilles dans leur patrie, C’est alors seulement qu’on y voit poindre une civilisation élégante, riche, inspirée en partie par les arts qui faisaient depuis long-temps la gloire de la Babylonie. Avant cette époque, il existait bien en Médie une ville célèbre, Ecbatane ; mais, autant qu’on en peut juger par les descriptions qu’en ont faites les historiens, c’était la résidence d’un roi qui y mettait son pouvoir et ses trésors en sûreté, plutôt que la capitale d’un peuple pratiquant les arts. J’ai pu juger moi-même, dans la plaine d’Hamadan[1], par les rares vestiges épars autour de la ville moderne, que l’antique cité se distinguait par les proportions colossales de ses édifices ou la solidité de ses matériaux granitiques bien plus que par le fini d’une architecture encore privée de ces formes élégantes et pompeuses qui devaient la rendre si digne d’intérêt plus tard. Ce n’est donc que sous le règne des Achéménides que se développa un art tout nouveau en Perse. Ce que, les victoires de Cyaxarès et de Cyrus, sur les rives du Tigre et de l’Euphrate, avaient commencé fut achevé par les conquêtes de Cambyse et de Xercès aux bords du Nil ou dans les plaines de l’Ionie. Le génie artistique des Perses, qui s’ignorait lui-même, se développa au milieu de la civilisation des Égyptiens et des Grecs. La vue des monumens par lesquels ces peuples avaient déjà marqué leur place dans le monde éclaira l’intelligence des Perses qui n’étaient encore que guerriers, mais qui retournèrent dans leur patrie préoccupés d’idées nouvelles, et impatiens de créer à leur tour. Leur ardente imagination était pleine d’ineffaçables souvenirs. Thèbes, Memphis, Éphèse, Athènes, avaient produit des impressions vives et durables dans leur esprit. Au retour de chaque expédition lointaine, un certain nombre de soldats rentraient dans leur pays architectes, peintres, sculpteurs, artistes en tout genre. Comme des abeilles qui ont quitté leur ruche pour aller butiner sur les fleurs les plus belles et les plus parfumées, ils étaient allés au loin butiner aussi pour rapporter dans leurs foyers des idées, des modèles dont ils devaient composer, si je puis ainsi dire, l’essence de cette noble civilisation qui attira plus tard sur la Perse la convoitise et la rage des Grecs.

Ainsi cette nation sauvage, barbare, composée de pasteurs tant qu’elle vécut au milieu de ses montagnes, se forma par la conquête, se civilisa au contact des peuples qu’elle vainquit. Les Perses, dans le

  1. Hamadan est l’ancienne Ecbatane.