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risque pas deux fois de dévoiler. Nous commencions à marcher à tâtons dans les ruelles qui contournent les hautes murailles du sérail, quand nous nous entendîmes interpeller brusquement par des sentinelles ! Nous ne connaissions pas le mot d’ordre, et pour moi surtout, qui ne savais pas un mot de persan, il eût été fort embarrassant d’y répondre. Heureusement la garde du châhzâdèh n’était pas très sévère sur la consigne ; elle nous permit d’approcher, et, nous ayant reconnus pour des Européens ; elle nous laissa passer.

Le prince Malek-Khassem joignait à la rare indépendance d’esprit dont il venait de me donner une preuve d’autres qualités plus solides. Ce châhazâdeh possédait parfaitement six langues, sans, compter la sienne : le français, l’anglais, le russe, le turc, l’arabe et l’indostani. Il avait plusieurs fois accordé la faveur de son crédit à des Européens qui étaient venus s’établir en Perse ; M. Boré lui-même, quand il vint fonder dans les états du châh l’école française, n’eut pas de protecteur plus zélé. Ce prince, à force d’obsessions, avait fait comprendre au chah, son neveu, qu’il était de l’intérêt de sa couronne et de ses sujets de soutenir cet établissement, et d accorder à tous les Européens qui voudraient apporter leur industrie dans le pays des firmans de nature à encourager les émigrations vers la terre d’Iran. Il ne tint pas à Malek-Khassem-Mirza que plus tard, par un revirement ordinaire des choses de ce monde, surtout aux promesses des Persans, Mohammed-Châh, probablement mal conseillé, ne fût fidèle aux firmans qu’il avait rendus dans un moment d’entraînement vers des idées, civilisatrices.


III. – UN INTERIEUR PERSAN.

Mes relations avec le prince Malek-Khassem ne m’avaient montré qu’une face exceptionnelle de la vie persane ; l’esprit d’indépendance et d’innovation, tel que j’avais pu l’observer chez le châhzâdèh, n’a pas encore pénétré dans ce qu’on peut appeler en Perse les classes moyennes de la nation. C’est dans ces classes pourtant que la société persane peut trouver un jour ses bases les plus solides. La vie privée, comme dans tous les pays de l’Orient, doit servir ici à éclairer la vie publique. Pénétrons dans une maison d’Ispahan ou de Téhéran, cherchons comment vivent les habitans, quelles sont leurs affaires, quels sont leurs loisirs : nous en saurons assez pour déterminer ce qui reste de vitalité en Perse au caractère national, et par conséquent de puissance, de garanties de durée, ou de développement même, à l’ancien empire des Sophis.

Quand on a franchi le seuil d’une maison persane, on se trouve dans une cour ordinairement plantée d’arbres ou d’arbustes, au milieu de laquelle est un petit bassin d’eau que l’on renouvelle, selon les facilités