Page:Revue des Deux Mondes - 1852 - tome 15.djvu/1125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et Nadir-Châh, quatre héros favoris des Persans. De chaque côté de cet appartement étaient des fauteuils où nous prîmes place, après avoir salué le prince. Karamân-Mirza était lui-même assis au fond de la salle. Sa complète impassibilité et son air peu aimable semblaient témoigner du mécontentement qu’il ressentait de la persistance qu’avait mise l’ambassadeur à réclamer contre un usage incompatible avec la dignité du représentant de la France aussi bien qu’avec le costume européen.

Le châhzâdèh portait une tunique verte boutonnée jusqu’au menton, avec un collet et des paremens du velours amaranthe. Il avait un pantalon à l’européenne, tombant sur des chaussettes de cachemire à petites palmes : c’était sa seule chaussure. De grosses épaulettes d’or chargeaient ses épaules, et sur sa poitrine s’étalait à côté du grand cordon du Lion et du Soleil, la plaque en brillans des grands dignitaires de cet ordre. Une ceinture en or, fermée par une large agrafe en diamans ceignait ses reins. À son côté reposait un sabre dont le fourreau était de velours monté en or, et dont la poignée étincelait de brillans.

Malgré son teint brun et ses longues moustaches noires, ce prince avait l’air extrêmement efféminé. Il crut sans doute de sa dignité de pousser l’étiquette jusqu’à l’immobilité la plus absolue quand l’ambassadeur se présenta, car il ne se leva pas, et ne fit aucun geste jusqu’a ce que les salutations d’usage eussent été échangées. Alors seulement il daigna nous faire signe de nous asseoir. Il reçut avec une froideur remarquable les complimens obligés qui lui furent adressés. Quelles que fussent les fleurs dont notre interprète embellit son discours, le châhzâdèh ne parut pas en goûter les parfums. Il ne put cependant se dispenser de dire quelques mots à l’ambassadeur sur son arrivée dans sa residence et sur son voyage ; mais ses complimens furent des plus laconiques. L’entrevue fut très courte, et nous en emportâmes une opinion peu favorable à Karamân-Mirza.

Quelques jours plus tard, l’ambassadeur dut envoyer au châhzâdeh des présens, parmi lesquels figurait un service à thé en porcelaine de Sèvres. Malheureusement la délicatesse du travail avait entraîné quelques avaries légères dans ces fragiles produits qu’il avait fallu transporter à dos de mulets, et non sans des chutes assez nombreuses à travers les passages difficiles et les neiges de l’Arménie. Quelques anses de tasses s’étaient brisées dans le trajet. Il était impossible de les faire réparer, et il fallut bien les envoyer telles qu’elles étaient. Le prince refusa le service en faisant dire à l’ambassadeur qu’une feuille de rose donnée par un ami avait à ses yeux toute la valeur du revenu de l’univers, mais qu’il fallait qu’elle ne fût pas fanée. — Ce refus, quelque enveloppé qu’il fût de métaphores orientales, n’avait rien de gracieux.