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auteurs contemporains[1] du vekil ; « Les rayons de ce soleil majestueux s’étendaient sur tout l’empire ; mais l’influence de sa bienfaisante chaleur se faisait sentir plus particulièrement à Chiraz. Les habitans de cette ville favorisée jouissaient du bonheur le plus tranquille ; près de jeunes filles à face de lune, leurs jours s’écoulaient dans une douce oisiveté. Circulant au milieu de joyeuses sociétés, le vin animait leurs plaisirs, et l’amour remplissait tous les cœurs de ses plus pures jouissances. »

Cependant l’esprit de discorde n’était qu’endormi, et, à la mort du vekil, la guerre de partisans recommença avec un nouvel acharnement. Comme si aucune dynastie ne pouvait se fonder en Perse sans être issue des Turcs, celle des Zends se vit sapée, abattue par les Kadjars. Les tribus turques ont joué un rôle remarquable dans l’histoire moderne de Perse. Ce sont des tribus d’origine ottomane, établies dans le nord de ce royaume depuis la conquête de Taïmour-Lenk ou Tamerlan, qui ont aidé les Sophis à secouer le joug des attabegs et fourni à Châh-Ismaïl ses meilleurs soldats dans la lutte qu’il eut à soutenir contre les armées du sultan. Nadir était de la tribu des Affchars, établie près de Tabris, et ce sont les Kadjars, dont le territoire touche au Mazenderân, qui règnent encore aujourd’hui sur la Perse.

La révolte qui se déclara contre le successeur de Kerim-Khâm avait pour chef un eunuque, Aga-Mohammed-Khân, qui depuis long-temps convoitait le trône, et n’attendait pour s’en emparer que la mort du vekil. Le jeune homme qui avait succédé à Kerim, Louft-Ali-Khân, semblait avoir hérité de quelques-unes des brillantes qualités de son prédécesseur ; mais son inexpérience lui rendit fort difficile la lutte contre son astucieux et habile ennemi. L’héroïque et bouillant Louft-Ali-Khân fut une première fois défait par Aga-Môhammed-Khân dans les environs d’Ispahan, puis sous les murs de Chiraz. Réduit à fuir, il s’enferma dans Kermân, qui lui était restée fidèle. Les habitans de cette ville n’ont pas oublié la vengeance barbare par laquelle le cruel eunuque punit leur fidélité à leur infortuné prince : vingt mille femmes et enfans furent livrés aux soldats de l’eunuque kadjar, tous les hommes eurent les yeux crevés. Pendant bien des années, la Perse fut couverte de ces malheureux aveugles, qui n’avaient d’autre ressource que la commisération publique ; aujourd’hui encore quelques vieillards inspirent la pitié par une cécité qui date de leur enfance et rappelle tristement la barbarie du chef de la famille régnante. Quant à Louft-Ali-Khân, il était tombé au pouvoir de son implacable ennemi, qui le fit périr après lui avoir arraché les yeux, et qui, non content de cette victime, fit aussi mettre à mort tous les autres princes issus de

  1. Ali-Riza, historien de la famille Zend.